J’ai
trouvé dans mes archives une photo datée de 1920, que j’aime tout
particulièrement.
Cette
photo a été prise, apparemment, dans le jardin familial. A l’époque, mes
grands-parents et mes arrière-grands-parents vivaient ensemble dans une grande
maison au 28, rue de la Prévoyance à Noisy-le-Grand (autrefois Seine-et-Oise,
maintenant Seine-Saint-Denis et peut-être dans un avenir proche PARIS !). C’est mon arrière-grand-père qui avait construit la maison (avec l'aide d'amis, je suppose). En effet, il était mâçon.
Cette
maison, j’en ai retrouvé la description, datée du samedi 31 octobre 1931, dans
un cahier d’écolier de mon père, qui avait 12 ans. C’est assez émouvant. Le
sujet de la rédaction était : « Il y a chez vous une pièce que vous
préférez aux autres. Décrivez-la. Vous vous y tenez de préférence :
pourquoi ? ». Mon père a écrit :
« En entrant
dans la rue de la Prévoyance à partir de la route nationale, à notre droite
c’est l’usine de caoutchouc, à la gauche une ferme puis une maison avec une
grille cachée par la vigne vierge. Cette maison assez grande est celle de mes
parents et grands-parents. Elle est composée de huit grandes pièces. Elle est
en parpaings et recouverte de tuiles.
Les huit pièces de la
maison ne sont pas toutes à mes parents, qui n’ont que les quatre du premier
étage. Les quatre du rez-de-chaussée appartiennent à mes grands-parents. De nos
quatre pièces, je préfère la salle à manger orientée au soleil levant.
Elle est tapissée
d’un papier dont le dessin est composé de fruits variés. J’aime à y prendre les
repas, au soleil, l’été, la fenêtre ouverte, respirant l’air pur du dehors. La
salle à manger est vraiment la pièce que je préfère : embaumée aux heures
des repas par des mets odorants ».
Mais
revenons à ma photo. On avait sorti, pour la circonstance, un canapé qu’on a
placé devant le mur. On aperçoit sur le sol quelques plantes et un arrosoir en
fer-blanc.
Assise
sur ce canapé, à gauche, c’est mon arrière-grand-mère Henriette Anna Garnier,
46 ans, (avec un sourire rayonnant), tenant dans ses bras, en robe de baptême,
le petit Marcel André Mouton, mon père, 9 mois. Elle porte une jolie robe noire
(elle était une habile couturière) avec des chaussures blanches à lacets qui
m’étonnent. C’était une femme pratique, elle avait dû choisir le confort. À droite,
sur le canapé, est assise ma grand-mère Henriette Marie Châtelain, 24 ans,
élégante dans sa longue robe noire (elle était couturière elle aussi) avec des
chaussures noires assorties. Elle tient dans ses bras sa fille Argentine Anna, 9 mois,
également en robe blanche, plus menue que son frère jumeau. L’expression sur le
visage de ma grand-mère est ambiguë, le léger sourire retenu.
Debout
derrière elles, de gauche à droite, on voit mon arrière-grand-père Marie
Nicolas Mouton (dit Léon), 50 ans, qui arbore un air satisfait derrière sa
grosse moustache, puis Pierre Châtelain, 14 ans, le jeune frère de ma
grand-mère, et André Léon Mouton, 24 ans, mon grand-père. Le jeune papa ne
sourit pas. La naissance de jumeaux (prématurés) avait dû être un choc pour les
parents. Il n'y avait pas de couveuses à l'époque. Les bébés étaient si petits que le docteur, venu à la maison pour
l’accouchement, avait déclaré à la mère :
-
Vous ne les élèverez pas.
Mais la grand-mère des jumeaux ne le voyait pas de
cet œil. Elle a rétorqué :
-
Comment ça ? Mais si, on les élèvera !
Ce
« on » signifiait qu’elle prenait sa part dans le pari. Et en effet, la
grand-mère Anna, qui habitait avec son mari dans la même maison que le jeune
couple, et qui n’avait encore que 46 ans, a secondé sa bru, un peu débordée par
les deux enfants, et s’est attachée aux petits. Ma grand-mère Henriette, qui
rêvait d’avoir une fille, était comblée avec sa petite Argentine. Alors, mon arrière-grand-mère Anna, de son côté, s’est consacrée au petit garçon. Mon père est
devenu un peu son « chouchou ». Elle l’emmenait promener avec
elle dans la famille à Pontault-Combault ou à Provins. Comme mon père montrait
de l’intérêt pour la musique, elle lui a payé un violon et des cours de violon.
Sa sœur Argentine était douce et timide, toujours « dans les jupes »
de sa maman. La musique ne l’intéressait pas spécialement. Elle préférait la
cuisine et la couture.
Cependant,
les jumeaux fragiles ont atteint tous les deux l’âge adulte, et fondé une
famille, grâce à l’énergie de mon arrière-grand-mère Anna ! Ma tante
Argentine, malheureusement, est décédée d’une leucémie à l’âge de 38 ans, en
laissant trois jeunes enfants, mais mon père a vécu jusqu’à 91 ans !
Ah les photos de famille du siècle dernier, quel bonheur ! Je note au passage que le médecin n'était pas doué pour les prédictions… 91 années de vie pour ton père, ce n'est pas rien tout de même. Les soins attentifs dont il a été l'objet l'ont certainement aidé à surmonter sa faiblesse de jumeau, comme ce fut le cas également pour ma mère.
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