Mon grand-père maternel, Marcel Alfred
François, est né dans une famille
très modeste le 17 mars 1890 à Oëstres (prononcer « ouatte »), dans
la banlieue de Saint Quentin (Aisne). Il était le dixième enfant (mais pas le
dernier !) de Louis Xavier Victor François,
domestique, et de Maria Eugénie Marie Rose Hamet,
son épouse. Des neuf enfants l’ayant précédé n’ont survécu que Georges, Louis et
Jeanne, sa grande sœur, d’un an son aînée. Sur l’ensemble de cette
impressionnante fratrie de seize enfants,
seuls six enfants ont atteint l’âge adulte. Comment expliquer tous ces enfants
morts en bas âge ? J’imagine que la mère, enceinte chaque année, n’avait
pas assez de lait pour nourrir convenablement
ses bébés. A l’époque, le lait en poudre et les petits pots Guigoz
n’existaient pas.
À l’âge de 18 ans, en 1908, mon grand-père
a eu un chagrin d’amour. Il était fiancé à une jeune fille qui est morte
prématurément. Inconsolable, il a devancé l’appel et s’est engagé dans l’armée.
Sur sa fiche matricule, j’ai retrouvé en détail tout le déroulement de sa
carrière militaire, dont il ne parlait jamais. Tout au plus avais-je entendu
dire qu’il avait servi dans les dragons. Maintenant, je peux reconstituer un
peu mieux toute cette partie de la vie de mon grand-père, comme une pièce de
théâtre (dramatique) en plusieurs actes.
Premier Acte.
Marcel
Alfred François mesurait 1m 65
et avait un degré d’instruction générale de 2 (niveau du certificat d’études,
je crois). Engagé volontaire pour 4 ans le 20 mai 1910, à la mairie de Saint
Quentin, il rejoint le 13ème régiment de dragons et arrive au corps
comme cavalier de 2ème classe le 23 mai 1910. Il passe au 11ème
régiment de dragons en 1912, puis au 7ème escadron du train des
équipages le 24 septembre 1912. Il part pour Marseille le 29 septembre et
s’embarque le 1er octobre à destination de Casablanca. Il est
affecté à la 13ème brigade du 17ème escadron du train.
Collection personnelle
Du 1er octobre 1912 au 10
juin 1913, il participe aux opérations dans le Maroc occidental en guerre
(combat de Ber Mezoui, de Bosna Aïssane, de Casbah Tadla, d’Aïn Zerga, de
Keliba, etc.). Il passe dans la réserve le 20 mai 1914 avec un certificat de
bonne conduite. Mais il est rappelé par décret du 1er août 1914.
C’est la Mobilisation générale.
Deuxième Acte.
Marcel
Alfred François participe aux
opérations contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie du 2 août 1914 au 10
février 1919, d’abord au 17ème régiment d’artillerie puis dans
divers autres régiments d’artillerie. Mais en avril 1917, considéré comme
soutien de famille à la suite de la mort de son frère Louis au combat, il est envoyé à l’arrière. Et le 17
décembre de la même année, les familles étant un peu rassurées sur son sort,
lors d’une permission, il épouse ma grand-mère Denise Jeanne Galmiche. Puis le
10 février 1919, il est classé affecté spécial à la 9ème section de
chemins de fer de campagne, subdivisions complémentaires, en qualité d’homme
d’équipe en fonction à la Compagnie de l’Est à Lure (Haute Saône) où il restera
jusqu’en février 1923. Il est ensuite versé dans la réserve de l’armée territoriale
au 40ème régiment d’artillerie légère, sans affectation, jusqu’au 1er
septembre 1927. Il ne sera finalement dégagé de toutes obligations militaires
que le 20 mai 1938 ! Cette carrière militaire représente au total 30 ans
de la vie de mon grand-père, dont plus de 10 ans dans l’armée active !
Passons maintenant à la petite
histoire. J’ai une photo de mon grand-père en uniforme de dragon. Il avait
fière allure, avec le casque rutilant dont s’échappait une queue de cheval.
Collection personnelle
L’apprentissage de l’équitation n’avait pas été facile. Les premiers temps, au
bout de longues heures d’entraînement, à cause du frottement de la selle, il
avait les fesses en sang ! Plus important, peut-être, mon grand-père a
appris à aimer les chevaux. En fin de journée, si fatigués qu’ils soient, les
soldats devaient avant toute chose s’occuper de leur cheval, le bouchonner avec une poignée de paille pour essuyer la sueur, poser sur son dos une couverture,
lui donner à boire et à manger. Alors, et seulement alors, ils pouvaient enfin
penser à eux-mêmes. Le dragon conservait toujours son cheval. Mon grand-père
avait reçu une jument et il s’y était attaché profondément.
Pendant qu’il était en garnison à Lure
(Haute Saône) avec son régiment de dragons, sa mère, Maria, qui voulait aller
le voir de temps en temps, lui a demandé de chercher une chambre à louer chez l’habitant.
Mon grand-père a trouvé une famille qui acceptait de lui louer une chambre pour
un prix modeste et Maria est venue à Lure pour voir son fils. Dans cette famille franc-comtoise de six enfants, il y avait
une jeune fille charmante, Denise Galmiche, âgée de treize ans, qui portait
encore des nattes. On était en 1911. Mon grand-père avait 21 ans. Pendant ses
permissions, il venait voir la famille Galmiche, chez qui sa mère avait pris
pension. Il n'était pas insensible au charme de la jeune fille. Quelques années ont passé. Puis la guerre a éclaté. Il a été envoyé au
front. Il a envoyé à sa mère une carte-photo, prise chez le photographe. Il posait de biais et Maria a remarqué que l’un de ses bras était caché. Elle a cru qu’il
avait été amputé ! En réalité, son fils avait juste été
légèrement blessé à la poitrine par un éclat d’obus. Marcel a été envoyé en
convalescence à Lure et il a retrouvé la jeune Denise. Puis, son frère Louis ayant été tué au combat en Argonne,
mon grand-père a été envoyé à l’arrière. Et le 17 décembre
1917, pendant une permission, Marcel François, 27 ans, a épousé Denise Galmiche, 20 ans, à Lure. Neuf mois plus tard, naissait une petite fille,
Marcelle (ma mère)…
Belle histoire !
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