jeudi 29 janvier 2015

Faut-il faire SA généalogie ou DES généalogies ?

En lisant le billet de Dominique Chadal (degrés de parenté), qui répondait à celui d’Elise (auprès de nos racines) « Faut-il reprendre son arbre généalogique à zéro ? », je me suis sentie en accord avec la tendance de Dominique à « tout noter » y compris les personnes qui ne sont pas de sa famille (mais qui pourraient l’être, qui sait ?). Jusqu’ici, je ne les notais pas systématiquement, mais j’ai décidé de le faire cette année. Pourquoi ?

Ma généalogie ne m’appartient pas

Il me semble que MA généalogie ne m’appartient pas totalement. Toutes ces personnes qui apparaissent dans MON arbre appartiennent aussi à un tas d’autres généalogistes, elles sont attachées à d’autres familles par divers liens. J’en ai eu l’intuition en lisant une lettre d’une de mes cousines germaines, qui ne fait pas de généalogie, et qui essayait de s’y retrouver dans mon récit de notre histoire familiale avec les noms des personnes citées. Je me suis dit qu’il faudrait que je lui fasse non pas son arbre mais NOTRE arbre généalogique.

Les arbres à remplir sur papier ne permettent qu’une vision simple de nos ancêtres directs et n’ont donc aucune utilité dans ce cas. Passons. Avec Geneanet, je peux rentrer toutes les personnes qui ont un lien de parenté avec mon de cujus c’est déjà mieux, mais pas suffisant. Avec Heredis 14, on peut même rentrer un individu non relié avec ceux de son arbre. Gros progrès. Mais comment faire apparaître à l’impression les fratries qui m’intéressent, avec leurs descendants, sans imprimer les autres ? En l’occurrence, la branche de ma grand-mère maternelle (6 enfants), qui est pour ma cousine sa grand-mère paternelle, ainsi que les conjoints et leurs enfants. Ils ne sont que des collatéraux, mais nous avons plus ou moins bien connu toutes les deux ces oncles et ces tantes. Ce sont les généalogies parallèles de ma mère et de son frère que je voudrais présenter en un seul tableau sur papier, car ma cousine ne semble pas disposée à utiliser un ordinateur ! Et encore moins un logiciel de généalogie…  

Faire la généalogie d’un ami

Je vais régulièrement rendre visite dans sa maison de retraite à un vieil ami de mon père (ami de longue date), âgé de 95 ans. Il n’est pas de ma famille. Pourtant des liens nombreux nous attachent. Sa sœur,Odette, était ma marraine. Cet ami s’est marié mais le couple n’a pas eu d’enfants. Odette est restée célibataire. La branche s’éteindra donc avec lui.

Il y a quelques années, Jean Cutté et sa femme Alix Duquenoy ont voulu faire leur arbre généalogique. Avec les moyens de l’époque (courrier, téléphone), ils ont retrouvé cinq générations et dessiné à la main (très joliment) sur deux pages A4 les noms de leurs ancêtres. Comme les cases sont nécessairement toutes petites, ils n’ont pu noter que les noms, parfois une année. Je ne pense pas que Jean, le seul survivant, ait conservé le détail de leurs recherches. En entrant dans la maison de retraite, il a dû jeter beaucoup de papiers et d’objets inutiles, et ne garder que l’essentiel. Tant pis.


Au premier abord, les arbres de Jean sont magnifiques. Mais comment s’y retrouver ? Il manque beaucoup de renseignements, surtout les lieux de naissance et de décès, et des dates précises. Ai-je le droit de m’immiscer dans cette généalogie qui n’est pas la mienne ? J’ai questionné Jean sur ses parents, ses grands-parents. Où étaient-il nés, où étaient-ils morts ? Voyant que je m’intéressais à sa famille, Jean s’est montré coopératif. Malgré sa mémoire parfois un peu défaillante, il a pu me donner un certain nombre de renseignements. Je lui ai promis que je chercherais le soldat François Duquenoy, mort pour la France le 12 décembre 1943. Mon ami Jean n’a plus de famille proche, ses amis sont morts. Nos visites lui font plaisir et il a l’air heureux de me parler de ses parents, grands-parents, et de la famille de son épouse.

Oui, je crois que je vais commencer une nouvelle généalogie.

Le village de mon enfance

La chapelle St Roch, à Aussois
(collection personnelle)

J’aimerais aussi faire la généalogie de plusieurs familles d’un petit village de Savoie (Aussois) qui m’ont accueillie avec mes parents pendant plus de 10 ans tous les étés. J’étais comme de la famille, les enfants de mon âge étaient comme mes cousins. Et surtout, Aussois était encore à l’époque (dans les années 1950-1960) un vrai village à l’économie agro-pastorale de 200 âmes. Mieux que dans un livre, j’ai appris ce qu’était la vie rurale. J’ai participé aux travaux des champs (moisson, fenaison - avec la liftan, une sorte de luge sur laquelle on plaçait les trousses de foin, et un cheval qui tirait la carriole), j’ai appris les noms des lieux-dits, qui ne sont écrits nulle part, j’ai gardé les vaches avec mon amie bergère et son chien, j’ai appris à traire, j’ai aidé à la pesée du lait à la fruitière… Tout cela grâce à mon père, qui avait rêvé de devenir paysan et se sentait proche de ces gens au contact de la nature. Ils ne sont pas de ma famille, mais je suis quand même un peu des leurs. D’ailleurs, une amie du village m’a dit qu’elle avait trouvé parmi ses ancêtres des MOUTON. Qui sait ? Nous avons peut-être de lointains ancêtres communs ?

Ce sera un autre de mes projets pour 2015. 

Une vision globale de la généalogie

J’ai déjà perdu une fois toute ma généalogie sur Heredis 12 ou 13 quand j’ai changé d’ordinateur… D’accord, je ne suis pas douée en informatique ! Mais je n’ai pas du tout envie de recommencer à zéro une seconde fois. J’ai maintenant plus de 1000 individus dans mon arbre, reliés entre eux pour la plupart. Je vais donc introduire en 2015 de nouveaux individus non reliés. Certains sont peut-être de ma famille mais par quel biais ? Je le découvrirai plus tard, éventuellement.

Pour transmettre ma généalogie, afin que toutes mes recherches ne soient pas perdues, j’imprime sur papier des arbres, des tableaux, des listes. Je classe mes documents dans des classeurs Exacompta. J’archive mes dossiers informatiques sur un disque dur externe. J’ai distribué mon arbre à quelques cousins, mais tous ne semblent pas intéressés. Je rêve de réaliser un livre de photos de mes proches parents et même de publier en librairie, un jour, l’histoire de ma famille. Mais j’aimerais aller plus loin.

J’ai eu l’intuition qu’on pouvait faire mieux le jour où, voulant retrouver mon ancêtre Armand Granday, parti aux Etats-Unis, et sa femmme Charlotte Beaton, rentrée chez elle en Angleterre, je me suis inscrite (malgré mon principe de m’en tenir à une généalogie gratuite) sur le site payant d’Ancestry.fr international. En quelques clics, j’ai retrouvé en de lointains pays non seulement les personnes que je recherchais, mais encore leur conjoint, leurs frères et sœurs, leurs enfants. C’est la même chose sur Geneanet, mais limité à la France. Mon problème, actuellement, est la vérification des sources, car aux Etats-Unis la généalogie est un business et tous les actes s’achètent.

La conserverie de soupe à la tortue à Key West

Ce que j’aimerais, c’est un arbre universel, unique. Je crois qu’on en parle, qu’il se met en route. Le support sera l’internet, obligatoirement. En attendant, je partage mon arbre sur Ancestry avec des cousins du monde entier. Je sais qu’Armand Granday faisait de nombreux voyages au Mexique pour s’approvisionner en tortues. Serait-il mort là-bas ? Car je n’ai toujours pas trouvé le lieu ni la date de son décès. Un autre cousin se serait marié en Allemagne. C’est moins loin. J’espère le retrouver, lui aussi, sur Ancestry. L’avantage est que mes données sont sauvegardées sur “le cloud” et que je ne risque plus de tout perdre comme la première fois. L’inconvénient est qu’il faut que quelqu’un ait, comme moi, déposé ses informations familiales (noms, lieux, dates, photos, textes) sur le même site que moi. Il en existe trois principaux : FamilySearch, Ancestry et MyHeritage. C’est deux de trop !


jeudi 22 janvier 2015

Comment reconstituer la vie d'un ancêtre parti à l'étranger ? (2)

Pour récapituler la première partie de mes recherches, je suis donc partie d’une légende familiale, comme nous en avons presque tous dans nos familles, sachant  que ce genre d’histoire est vague et à prendre avec précaution.

Les moyens utilisés :
- les archives en ligne
- la piste des collatéraux
- les recensements en ligne
- Geneanet
- Des visites sur place aux archives :
- Archives de Paris (le Bottin)
- Archives diplomatiques de la Courneuve
- Papiers de famille.

Tout cela m’a permis d’avancer, et j’ai commencé à comprendre un peu mieux cette histoire. Armand Granday, devenu cuisinier, a eu l’idée, je ne sais comment, d’aller aux Etats-Unis. J’ai un grand trou dans son « curriculum vitae » à partir de la naissance de son fils Octave Charles Armand Granday. Je note au passage que l’enfant est né le 15 mai 1861, deux mois après le mariage de ses parents, le 16 mars de la même année... Il naît chez son grand-père Christophe Désiré Granday, qui fait la déclaration à la mairie. Le père (Armand Granday) et la mère (Charlotte Beaton) sont domiciliés à Paris, 18 rue de la Michodière. Les années suivantes, je ne trouve aucune trace de la petite Agnès, vue dans les recensements de 1866 avec son frère Octave à Pontault-Combault, chez leurs grands-parents. Où est-elle née ?

En 1872, Octave Granday, 10 ans, vit à Verneuil-l’Etang chez sa tante Hermine Léonie Granday et sa grand-mère Hermine Gandouin. Où sont ses parents ? Et sa sœur ?

J’ai fait quelques recherches sur Internet, et j’ai trouvé l’histoire des « Turtle Kraals ». Ce mot qui vient de l’africano-hollandais signifie « corral » ou « crawls » en anglais, dans le sens d’un lieu où l’on rassemble et enferme les poissons. C’est là qu’on conservait les tortues vertes vivantes avant de les exporter dans le monde sous forme de mets recherchés en conserves. La première usine de conserves de soupe à la tortue a commencé en 1849 à Key West (Floride) et fonctionné avec un certain succès jusqu’en 1890, lorsqu’un restaurateur nommé Armand Granday ouvre sa propre usine, et domine rapidement le marché.

Continuant de chercher sur Internet, j’ai trouvé un article dans un journal local de Norberg Thompson sur « l’industrie de la tortue et son développement à Key West ». D’après lui, l’industrie a réellement commencé avec l’arrivée d’Armand Granday. C’est Mr. Jules Webber, de New York, qui a poussé Mr. Granday à aller à Key West afin de voir ce qu’on pourrait faire comme cuisine avec de la tortue. Mr. Granday a fait des recherches pendant plusieurs années et finalement il a réussi à mettre au point sa fameuse recette qui est devenue extrêmement populaire. Ensuite, il a commencé à la fabriquer et à la mettre en conserve. Pendant 10 ans, il a dirigé l’usine qu’il avait construite, puis il l’a vendue à Mr. Louis Mouton, qui l’a dirigée jusqu’à sa mort.

J’en reviens donc à ma famille ! Louis Marie Mouton est le fils d’Hermine Victorine Léonie Granday (la sœur d’Armand Granday, vous me suivez ?) et de Nicolas Marie Mouton. Ils étaient trois frères : Marie Nicolas (dit Léon), mon arrière-grand-père, Louis Marie et Charles Alexandre. Ce sont donc les neveux d’Armand Granday qui sont partis aux Etats-Unis. Mon arrière-grand-père (et surtout mon arrière-grand-mère Anna) ont refusé d’y aller. Reprenant les lettres scannées par ma petite-cousine de Montpellier, je vois sur le papier à en-tête en 1903 les deux noms : A. Granday et L. Mouton. Louis est donc l’associé de son oncle. Il écrit à sa belle-sœur Anna (mon arrière-grand-mère), et lui raconte qu’il travaille 12 à 14 heures par jour au milieu de la vapeur par 38 à 40°. Charles travaille aussi avec lui. Armand Granday voyage en Amérique du sud pour les approvisionner en tortues. Louis est marié et a une fille, Leona. Sa femme s’appelle Georgina. Je cherche son nom et l’acte de mariage dans les tables décennales dans différentes villes de Seine et Marne. Je n’ai pas d’indices. On se marie généralement dans la commune de résidence de la jeune fille, mais dans cette famille on déménage souvent ! Enfin, à l’issue d’une battue presque désespérée, je trouve l’acte de mariage de Louis Mouton avec Georgina Verlot, institutrice à Fontenay-Trésigny le 5 mars 1896. Charles Mouton, lui, a épousé Juliette Ladouet le 30 janvier 1901 à Pontault-Combault.

Une lettre de Louis Mouton

En quelle année sont-ils allés rejoindre leur oncle à Key West ? Probablement après leur mariage. La première lettre que je possède est de 1903. Il faudrait trouver la liste des passagers des bateaux pour avoir la date exacte. Je cherche sur Internet et je trouve le site d’Ellis Island. Le 15 octobre 1904, arrivée du SS La Lorraine (parti du Havre le 8 octobre ; le voyage durait une semaine) avec à bord : Louis Mouton, 32 ans, cuisinier, citoyen américain, Georgina Mouton, 31 ans, sa femme, citoyenne américaine, Léona Mouton, 8 ans, leur fille, née aux Etats-Unis et Georges Verlot, 20 ans. Ils reviennent chez eux à Key West. Ils ont donc dû venir en 1896, après leur mariage, puisque leur fille a 8 ans. CQFD.

Le 19 juin 1905, arrivée du bateau le SS La Bretagne avec à bord Armand Granday, 72 ans, marié, citoyen américain, commerçant. Il retourne chez lui à Key West. Mais cela ne me dit pas quand il y est arrivé la première fois ! 

Sur Google, j’ai tapé Louis Mouton et je suis arrivée sur le site du Mel Fischer museum à Key West. Il y avait une photo représentant une famille avec un commentaire : « les Pomerleau, en visite à Key West, sont les descendants d’Armand Granday et de Louis Mouton, qui ont fondé en 1890 la compagnie A. Granday Canning Co. ». Qui étaient les Pomerleau ? Je sentais que j’étais sur une piste, mais comment remonter cette piste ?

J’ai repris les lettres de Key West. Les affaires marchent bien. Louis raconte qu’une fabrique de glace vient d’être créée. Il en est le premier actionnaire, vice-président et trésorier. Après d’intéressantes évocations sur leur vie et les événements locaux (Louis écrivait très bien), de 1903 à 1908, les lettres cessent brusquement.
La lettre suivante, datée du 1er mai 1910, est de Charles, il parle de la mort de son frère Louis, mais sans préciser. D’ailleurs toutes les lettres ne nous sont pas parvenues. Que s’est-il passé ? Crise cardiaque ? Accident ? Louis n’avait que 37 ans.

Suivent plusieurs lettres de Charles et de Georgina (qui se fait appeler Georgiana, à l’américaine). Il y a des disputes au sujet de l’héritage. Les deux belles-sœurs se détestent. Apparemment, ils comptent tous rester aux Etats-Unis. Charles et Juliette (qui se fait appeler Julia) ont eu un fils, Charles Jr., vers 1904. Leona serait née, d’après mes estimations, fin 1896. Je ne sais pas comment trouver leur acte de naissance.

Jusqu’ici, j’avais pratiqué une généalogie gratuite ou presque (sauf mon abonnement à Geneanet). Mais maintenant, je commençais à bloquer sérieusement sur mes ancêtres américains. Je ne voyais pas comment m’en sortir. J’avais le choix entre aller consulter des documents dans un centre des Mormons (il y en a un à Nogent-sur-Marne, où j’habite) ou m’inscrire sur un site payant. C’était le 4 septembre 2014. Je me suis inscrite à Genealogy Bank ($ 55 – environ 43 €). Et aussitôt, j’ai trouvé une foule de résultats d’après des articles de journaux !  Encouragée par ces premiers succès, je me suis inscrite sur Ancestry.fr. C’était encore beaucoup mieux ! Mes recherches ont fait un bond en avant.

J’avais tellement d’éléments que je me suis trouvée débordée. Par où commencer ? Ma curiosité me poussait vers Leona Mouton. Dans une lettre du 17 mai 1913, Charles écrivait que Georgina se préparait à marier sa fille à un millionnaire. Quelle histoire ! Qui donc avait-elle épousé ? J’ai trouvé la réponse sur Genealogy Bank : dans le journal « Miami Herald » (Miami, FL) du Jeudi 26 juin 1919 cet article : « Key West, 25 juin. Annonce du mariage de Melle Leona Marie Mouton à M. Louis T. Pomerleau, de Buffalo. Le mariage a eu lieu jeudi (donc le 19 juin 1919). La mariée est la fille de Mme Georgiana Mouton, dont le mari a fondé la compagnie Consumers Ice & Cold Storage ici. Elles ont vécu ici jusqu’à il y a quelques années. M. Mouton est mort il y a plusieurs années ». Et voilà ! Était-ce le fameux millionnaire dont parlait Georgina ? En tout cas, j’avais trouvé le mari de Léona. Et cela m’expliquait aussi la photo des Pomerleau, descendants de Louis Mouton, au Mel Fisher Museum. CQFD.

De gauche à droite : Teri Pomerleau, Bob Pomerleau, Dan Pomerleau, Paul Pomerleau,
Rick Ewart du Key West Turtle Museum et Corey Malcom, MFMHS, archaeologist.
(photo du site Facebook du Mel Fisher Maritime Heritage Society)


Il me restait encore pas mal de travail pour compléter la saga des Granday, mais j’avais franchi un obstacle majeur. J’étais soulagée. C’est alors que j’ai reçu un message d’un généalogiste amateur qui avait lu mon blog, Pierre-Louis Laude. Le généathème de ce mois est « l’entraide » ou « une épine généalgique ». Ce lecteur de mon blog, intéressé par mes recherches au Japon, et curieux de l’histoire d’Armand Granday, m’envoyait divers renseignements qui me manquaient (par exemple la copie du certificat de naturalisation d’Armand Granday, avec la date et sa signature, la liste des passagers du Normandie arrivant à New York en 1885, la succession de Charlotte Granday et sa date de décès, etc.). Puis ce généalogiste m’a envoyé de nombreux liens pour me permettre de retrouver les renseignements qu’il m’avait envoyés et d’autres encore.

C’était beaucoup plus que de l’entraide ! C’était une leçon concrète pour apprendre à chercher dans les bases de données sur Internet. Fils d’un généalogiste passionné, Pierre-Louis « est tombé dans la marmite quand il était tout petit ». Je l’ai bien compris. C’était le professeur qu’il me fallait. Alors, un très grand merci, Pierre-Louis, pour tout ce que tu m’as appris.



jeudi 15 janvier 2015

Comment reconstituer la vie d'un aventurier (1)

Il y a cinq ans, quand j’ai commencé ma généalogie (en janvier 2010), mon père était encore vivant et il me racontait, par bribes, des anecdotes ou souvenirs. A plusieurs reprises, il m’avait parlé de parents qui avaient émigré aux Etats-Unis. J’ai essayé de l’interroger. Il m’a dit que « C’était la famille Granday. Ils sont partis aux Etats-Unis pour fabriquer de la « soupe à la tortue ». Ils voulaient que le père et le grand-père Mouton aillent les rejoindre, ainsi que l’oncle Alfred. Mais ils n’ont pas voulu y aller ».

Thompson fish house, turtle cannery, Key West (Florida)
Old sketch in Wikipedia

Cette histoire originale a piqué ma curiosité, mais j’avais peu d’indices. Mon arrière-arrière-grand-père Nicolas Mouton avait épousé Hermine Victorine Léonie Granday. C’est donc de ce côté-là que j’ai commencé à chercher.

D’après les Archives départementales de la Seine et Marne (en ligne) Hermine Granday est la fille de Christophe Désiré Granday et de Hermine Gandoin (ou Gandouin). Elle est née le 20 octobre 1831 à Fontenay (qui n’était pas encore fusionnée avec Trésigny), Seine et Marne. Deux ans plus tard naît Désiré Armand Granday, le 17 septembre 1833, également à Fontenay. En 1835, le 17 août, naît Désiré Granday, qui est mort à l’âge de 11 jours.

J’ai essayé de suivre la ligne de vie de Nicolas Mouton et d’Hermine Granday, mais j’ai très vite buté sur ce couple dont je ne trouvais même pas la date du mariage. Alors, je me suis tournée vers la famille Granday (il faut toujours essayer de se faire aider par les collatéraux). La tâche s’est révélée beaucoup plus difficile que je ne le pensais. En 1840, Christophe Désiré Granday est témoin au mariage de son frère cadet Victor Prudent Désiré Granday (remarque : dans cette famille, tous les garçons portent le prénom de Désiré. Faut-il y attacher un sens particulier ?). Il a quitté Fontenay et habite à Aubepierre, où il est charretier.

Je me suis alors attaquée aux recensements. J’ai fait une battue, un travail long et fastidieux quand on n’a pas d’éléments précis, ce qui était mon cas. Cette famille avait la bougeote (alors que d’autres ancêtres dans mon arbre n’ont jamais quitté leur village). Mais c’est ainsi que j’ai découvert en 1856 à Fontenailles (Seine et Marne) Armand Granday, garçon de cuisine, 23 ans, au château de Bois Boudran. Ainsi, il était apprenti-cuisinier ! Mieux encore, poursuivant mes recherches, j’ai trouvé à Roissy (canton de Tournan) Nicolas Mouton, 32 ans, charron, chef de ménage. Il était marié, mais vivait seul. Qui était sa femme ? Était-ce déjà Hermine Granday, ou une autre femme d’un premier mariage ? Avait-il divorcé ou sa première femme était-elle morte ? Beaucoup de questions sans réponses.

Puis grâce à Geneanet, j’ai trouvé un arbre généalogique très complet de la famille Granday. C’est ce cousin (puisque nous sommes tous les deux descendants de la branche de Christophe Désiré Granday) qui m’a mis sur la piste des Granday partis aux Etats-Unis faire de la soupe à la tortue. C’était en effet lui, le frère d’Hermine, Désiré Armand Granday, cuisinier et commerçant. Grâce aux renseignements trouvés sur Geneanet, j’ai pu reconstituer un morceau de sa vie.
Il épouse en 1861, à l’âge de 22 ans, une jeune Anglaise originaire de Southampton, rencontrée à Paris. Le couple a un garçon, Octave Charles Armand Granday, né à Fosses (Val d’Oise), puis une fille Agnès, dont je n’arrive pas à trouver l’acte de naissance. D’après l’acte de mariage d’Armand Granday, ses parents demeurent à Survilliers et sont marchands de vins. Je suis à nouveau allée consulter sur internet les recensements, en 1861, cette fois-ci dans le Val d’Oise (95). A Survilliers, 519 habitants, pas de Granday, mais à Fosses, 176 habitants, bingo ! Je trouve sous le même toit :
Granday Léonie, marchande de vin, 29 ans, Granday Christophe, son père, 60 ans, marchand de vin, Gandoin Hermine, sa femme, 48 ans, et Maître Jules Alfred, garçon de salle. Adresse : station du chemin de fer. Dans le recensement suivant, en 1866, hélas ils ne sont plus là.

En 1866 (recensement), je retrouve les deux enfants à Pontault-Combault (Seine et Marne). Ils vivent chez leurs grands-parents Christophe Granday, 60 ans, manouvrier, chef de ménage, et Hermine Granday (née Gandoin) sa femme, 53 ans. Où sont donc les parents ? Et où est Hermine Victorine Léonie Granday ?

Je me suis rendue aux Archives de Paris, boulevard Sérurier, pour consulter le Bottin de Paris. Après avoir appris comment installer les microfilms dans le lecteur, j’ai trouvé de 1854 à 1861 un certain Granday (pas de prénom, malheureusement) limonadier au 280 rue Saint-Martin. Était-ce mon homme ? Comment le savoir ? C’était une possibilité car lors de son mariage il habitait 18, rue de la Michodière. Pourtant, il se déclarait cuisinier, et non limonadier. Alors, quelqu’un de sa famille ?

Puisqu’il était parti aux Etats-Unis, j’ai pensé que je retrouverais sa trace aux Archives diplomatiques de la Courneuve. Mais là non plus, pas de chance. Il n’est pas immatriculé au consulat de France en Floride. Vérification par ordinateur sur les archives diplomatiques de Nantes. Rien non plus. L’archiviste me dit qu’il semblerait qu’Armand Granday ait pris la nationalité américaine. Il faudrait contacter l’ambassade des Etats-Unis à Paris, ou prendre un généalogiste professionnel. Cette remarque m’a piquée à vif. Non, je ne voulais pas payer un généalogiste pour faire des recherches à ma place ! Je voulais continuer toute seule !

C’était en février 2014. J’ai fait le point sur ce que je savais, un tableau récapitulatif qu’on pourrait appeler la « ligne de vie » de cet ancêtre voyageur. Parlant de mes recherches à une petite-cousine (sa mère était la cousine germaine de mon père), elle m’a dit qu’elle avait retrouvé des papiers de famille contenant des lettres qu’elle allait scanner et m’envoyer. Cela a pris quelque temps, mais j’ai reçu un véritable trésor. Mon enquête a fait un bond. Les lettres étaient sur du papier à en-tête de la société « A. Granday & Co. Canner of Green Turtle, Florida Lobster and all kinds of sea food », Key West, Florida. Ne croyez pourtant pas que j’étais au bout de mes peines. Mais je quittais pour un moment le monde froid des archives et des recensements pour me plonger dans la vraie vie de mes ancêtres. Je vous raconterai la suite une prochaine fois.





jeudi 8 janvier 2015

Le culte des ancêtres au Japon

Je reviens du Japon où nous avons fêté le Nouvel An avec ma belle-mère, âgée de 100 ans et 6 mois… Elle est, bien sûr, la doyenne de la famille. Pour ne pas trop la fatiguer, tous ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ne sont pas venus ensemble le même jour. Certains sont venus de France (nous), d’autres sont venus d’Angleterre (un de ses petits-fils, avec sa femme et son fils), les autres des environs de Kamakura et de Tokyo.

La première chose que l’on fait en arrivant à la maison, après avoir salué la maman, est de se rendre au zashiki, le salon en tatamis (qu’elle n’utilise plus guère, préférant vivre dans sa petite salle à manger bien chauffée, contiguë à sa chambre et à la cuisine) pour aller prier devant l’autel des ancêtres.

Autrefois, toutes les maisons japonaises possédaient un autel dédié aux ancêtres. Le butsudan (estrade des bouddhas) est généralement placé bien en évidence dans la pièce principale de la maison. On le voit toujours décoré de fleurs. Logé dans un renfoncement, c’est un petit meuble fait en bois noir laqué, destiné à recevoir les tablettes funéraires (ihai) sur lesquelles sont inscrits les noms posthumes (kaimyō) des défunts, noms dont le choix et la calligraphie ont été confiés contre rétribution au clergé bouddhique, et qui voisinent avec des représentations de bouddhas. Aujourd’hui, il est devenu habituel d’y placer des photos des disparus.

 

En dehors même du Nouvel An et des cérémonies formelles (traditionnellement le septième jour après la mort, puis tous les sept jours jusqu’au quarante-neuvième, et le centième jour ; ensuite viennent les commémorations annuelles (nenki) la première année, les troisième, septième, treizième et dix-septième années après la mort, le jour anniversaire de celle-ci) le défunt est de la part de ses successeurs l’objet d’un souci quotidien : on le réconforte et on l’apaise par des offrandes de nourriture (boulettes de riz, gâteaux, clémentines) du saké et de l’encens. (1)

Nous nous sommes donc rendus un par un devant l’autel des ancêtres pour faire brûler un bâtonnet d’encens devant le butsudan, surmonté d’une grande photo de mon beau-père, décédé le 2 septembre 1982, il y a trente-deux ans. Après s’être agenouillé sur un coussin, on joint les mains et on se recueille en souvenir du papa, des grands-parents et des arrière-grands-parents en ligne directe. Puis on frappe avec un petit bâton sur le bord d’une cloche en forme de coupelle pour attirer l’attention des dieux. La dernière personne éteint la bougie qui a servi à allumer l’encens en faisant vaciller la flamme de la main jusqu’à ce qu’elle s’éteigne (il ne faut pas la souffler avec la bouche).

(1) Voir l'article de Patrick Beillevaire "Dieux et ancêtres dans l'espace villageois japonais" dans la revue scientifique Persée, sur Internet.


jeudi 1 janvier 2015

L'année du mouton

C’est depuis le Japon que je rédige ce premier billet de l’année 2015. Nous entrons aujourd’hui dans l’année du mouton, après l’année du cheval. Le zodiaque japonais, venu de Chine vers le VIIe siècle, se compose de douze animaux placés dans un ordre immuable et formant un cycle sexagésimal. Pourquoi 12 ans ? L’astrologie a toujours été liée à l’astronomie. La période de douze ans est le temps que met la planète Jupiter pour effectuer sa révolution autour du soleil. Pourquoi Jupiter ? Parce que cette planète était le point de repère des astrologues chinois.

Voici le nom des douze animaux au Japon, dans l’ordre :

Nom japonais              Prononciation                                          Nom français
NE (pour nézumi)       NÉ                                                           le rat (ou la souris)
USHI                            OUSHI                                                     le bœuf
TORA                          TOLA (un r doux proche du « l »)           le tigre
U (pour ousagui)         OU                                                           le lapin
TATSU                        TATSOU                                                 le dragon
MI (pour hebi)              MI                                                             le serpent
UMA                             OUMA                                                      le cheval
HITSUJI                       HHITSOUDJI (avec h aspiré)                  le mouton
SARU                          SALOU (r doux avec la langue)              le singe
TORI                           TOLI (r doux)                                           le coq
INU                              INOU                                                       le chien
I (pour inoshishi)         I                                                               le sanglier

Je vous fais remarquer au passage qu’en français tous les noms des animaux sont du genre masculin. Faut-il y voir un symbole de la domination (réelle ou perçue comme telle) du sexe masculin dans notre société ?

Une "ema", planchette avec le dessin de l'animal de l'année
qu'on achète le 1er janvier dans les sanctuaires shintos.

Pourquoi dans cet ordre ? D’après la légende, au dernier jour d’un cycle de 12 années, Bouddha, cherchant comment nommer les différentes années du cycle, aurait convié tous les animaux à une fête sur la montagne, ajoutant que les douze premiers arrivés se verraient attribuer un titre d’invité d’honneur et règneraient pendant une année selon leur ordre d’arrivée. Il existe différentes légendes racontant le déroulement de la course. Voici les plus connues :

Les invitations parvinrent à tous les animaux le même jour.
-          Le chat, étant très paresseux, ne prit même pas la peine d’ouvrir lui-même la lettre. Il demanda à son voisin le rat de lui expliquer de quoi il était question.
-          Le rat, très rusé, répondit au chat que la course aurait lieu le surlendemain, 2 janvier (au lieu du lendemain).
-          Le bœuf, connaissant sa lenteur, partit en avance, le 31 décembre à minuit. Le rat, ayant deviné son intention, et ne voulant pas se fatiguer, monta discrètement sur son dos. Le 1er janvier, le bœuf ayant gravi la montagne, péniblement et à son rythme, tout content, croyait être arrivé le premier, mais au dernier moment, à quelques pas du sommet, le rat sauta par terre et le devança. Ainsi le rat arriva le premier. Le bœuf était furieux ! Mais il se consola vite, étant tout de même le second.
-          Peu après, les autres animaux arrivèrent : le tigre, le lapin, le dragon, le serpent, le cheval, le mouton, le singe, le chien et le sanglier. Ils firent tous ensemble un grand festin avec Bouddha.
-          Le lendemain, le chat se mit en route pour la montagne mais arrivé au sommet il se rendit compte qu’il avait été dupé. Il fut ainsi puni de sa paresse. C’est pourquoi il n’apparaît pas dans le zodiaque chinois.

Pourtant, l’année du lapin en Chine est l’année du chat chez les Vietnamiens. Et l’année du cochon en Chine correspond à l’année du sanglier au Japon.

Mais revenons à nos moutons ! Les gens nés l’année du mouton (2015, 2003, 1991, 1979, 1967, 1955, 1943, 1931, 1919, 1907, etc. – faites le calcul vous-mêmes pour vos ancêtres nés au XIXe siècle et avant) sont, dit-on, passionnés dans tout ce qu’ils entreprennent et croient en leurs valeurs. Raffinés, élégants, ils se montrent doués pour les arts mais n’en font pas étalage, car ils sont modestes avant tout et souhaitent mener une vie tranquille. Tendres, ils ne supportent pas de faire du mal à autrui. Leur personnalité est très calme, timide même, mais intelligente et secrète.

Les signes amis sont le dragon ou le rat. Des mésententes sont à craindre avec le serpent, le sanglier ou le tigre.

Bien sûr, il s’agit de légendes chinoises ou japonaises, mais – qui sait ? – n’auraient- elles pas leur part de vérité dans notre vie ou celle de nos ancêtres ? Moi, je ne suis pas de l’année du mouton mais j’ai de la sympathie pour ce petit animal, dont le nom a servi de sobriquet à mes lointains ancêtres bergers, aux cheveux frisés, peut-être, et au tempérament paisible, avant qu’il ne devienne le patronyme de toute une branche de ma famille.

(J’ai puisé des renseignements pour compléter mes connaissances sur plusieurs sites internet : « L’horoscope chinois au Japon – mOshi mOshi, Blog Japon », « Asian Dream1 free.fr », « Orikeene.free.fr », Wikipedia, etc.)


Pour finir, j’aimerais remercier de tout cœur ceux et celles qui ont publié des commentaires encourageants sur mon blog au long de l’année 2014, et je vous souhaite une excellente année du mouton, la découverte d’un troupeau de sosas et de collatéraux ainsi que beaucoup de trouvailles généalogiques.