jeudi 9 février 2017

Etre une femme en 1785 à Prémont en Cambrésis

Ces derniers temps, cessant de faire l’abeille, je me suis plongée dans un gros registre du village de Prémont en Cambrésis (dans l’Aisne), berceau d’une branche de ma famille maternelle. Nous sommes en 1785. Prémont est un bourg de 1400 âmes. Je regarde tous les actes un à un, en cherchant les noms de mes ancêtres. Les actes de baptême et d’inhumation sont assez courts. Seuls, les actes de mariage, qui fournissent les noms des parents des deux futurs époux et citent au moins quatre témoins, sont un peu plus longs à lire.

Soudain, au détour d’une page, je tombe sur un acte de naissance inhabituellement long. Ce n’est pas un acte de baptême ordinaire.

Le 5 septembre 1785, le curé, Jacques François Locquet, est appelé en urgence au château de Prémont pour ondoyer un nouveau-né, une fille, à cause du péril de mort. L’enfant est née du légitime mariage de Messire Pierre Hubert de Sart, chevalier, seigneur de Nielles et autres lieux, lieutenant du roy des provinces de Flandres, Hainaut, capitaine au régiment de Duffort Dragon et de Dame Marie Antoinette Charlotte Josephe de Sart, son épouse. Les témoins sont : Charles François de Sart, chevalier, seigneur de Prémont, Elincourt, Villers Guillain, pair de Cambresis, ayeul maternel de l’enfant, de Messire Louis Charles Ignace Van Cappel de la Nieppe, député de la noblesse du Cambrésis et d’Ambroise Domail, chirurgien juré demeurant à Bohain aussi de ce diocèse, qui a certifié de la nécessité du baptême. Toutes les personnes présentes ont signé.

Voilà du beau monde ! Contrairement à beaucoup de mes ancêtres illettrés, les châtelains étaient instruits. Après un petit coup d’œil sur internet pour connaître l’histoire du château de Prémont, j’apprends qu’il y avait d’abord une forteresse importante, détenue par le seigneur Gilles de Prémont, qui a été détruite en 1553 par les troupes d’Henri II. Un second château, construit par Nicolas Le Sart vers 1620 l’a remplacée. La terre de Prémont appartenait toujours à la famille Le Sart au moment de la Révolution. Mais finalement, le château-fort, qui possédait quatre tours rondes, a été détruit en 1794.

J’essaye d’imaginer le village à cette époque, en me basant sur d’autres châteaux de ce type qui ont été reconstruits ou restaurés, comme Blandy-les-Tours, en Seine et Marne (du côté de ma famille paternelle). L’église Saint-Germain, dans laquelle officiait le curé Locquet, a été entièrement détruite en 1918, mais elle a été reconstruite en 1920.

L'église Saint Germain de Prémont
 https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pr%C3%A9mont_(Aisne)_%C3%A9glise.JPG#/media/File:Pr%C3%A9mont_(Aisne)_%C3%A9glise.JPG


 En outre, une rue qui porte le nom de « La Maladrerie » indique qu’il y avait à cet emplacement un hôpital.

Je ne sais pas si la petite fille née au château, qui n’avait pas encore reçu de nom de baptême, a survécu. Il faudra que je feuillette à nouveau le registre, maintenant que je connais le début de son histoire. Mais j’ai trouvé à Prémont autour de la même période deux actes d’inhumation qui révèlent le danger que représentait alors un accouchement à la maison. Voici en résumé ces deux actes :

Le 2 février 1785, a été inhumé le corps de Marie Anne Josephe de Vaillÿ, décédée d’hier, âgée d’environ 19 ans, épouse de Charles François Quennesson, mulquinier. Et le 2 février également a été inhumé le corps d’un garçon né et décédé le même jour, après avoir été ondoyé dans l’incertitude de vie par Michel Crinon, chirurgien de cette paroisse (…) fils de Charles François Quennesson, mulquinier et de Marie Anne Josephe Devaillÿ, ses père et mère. Pauvre Marie Anne Josephe ! Son premier accouchement lui a été fatal ! Ce Charles François Quennesson est mon sosa 110. Il n’a pas tardé à se remarier, le 6 septembre de la même année, avec Marie Rose Célestine Piette, fileuse, qui lui a donné au moins trois enfants !

J’ouvre une petite parenthèse sur l’origine du nom de famille « Quennesson ». D’après Geneanet, c’est un nom d’origine germanique formé par suffixation à partir de Cuene (= brave). Moi, j’aurais cru qu’il venait de « canasson » qu’on dit d’un mauvais cheval ! Je préfère évidemment l’étymologie proposée par Geneanet, encore qu’elle me semble un peu tirée par les cheveux…

Je reviens à Prémont. Le curé termine chaque année son registre en rappelant qu’il a bien publié tous les trois mois au prône de la messe paroissiale l’édit du roi Henri II de février 1556.
« Je soussigné prêtre curé de la paroisse de Saint Germain de prémont en cambrésis, diocese de noÿon certifie avoir publié au prône de notre messe paroissiale l’édit du roi henri second de 1556 le dimanche qui a precedé les quatres temps de chaque saison de cette presente année à Prémont ce trentunieme jour du mois de decembre l’an mil sept cents quatre vingt quatre ».

BnF Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8620797t

De quoi s’agissait-il donc ? J’ai été voir sur internet et j’ai découvert des informations surprenantes à propos du fameux édit du roi Henry II sur le blog de Fred « GénéaBlogique » http://geneablogique.blogspot.fr/2011/12/ledit-du-roi-henri-ii.html

Cet édit vise les femmes qui, ayant celé leur grossesse et leur accouchement, ont laissé périr leurs enfants sans leur avoir fait donner le sacrement de baptême ni une sépulture coutumière des chrétiens. Le roi insiste sur la gravité du crime d’infanticide (homicide). Les sanctions envers les mères reconnues coupables sont très radicales : ces femmes encourent la peine de mort !

"statué et ordonné, et par édit perpétuel, loi générale et irrévocable, de notre propre mouvement, pleine puissance et autorité royale, disons, statuons, voulons, ordonnons et nous plaît, que toute femme qui se trouvera deuement atteinte et convaincue d'avoir celé, couvert et occulté, tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l'un ou l'autre, et avoir prins de l'un ou de l'autre témoignage suffisant, même de la vie ou mort de son enfant, lors de l'issue de son ventre, et qu'après se trouve l'Enfant avoir esté privé tant du saint sacrement de baptême, que sépulture publique et accoutumée, soit telle femme tenue et réputée d'avoir homicide son Enfant. Et pour réparation, punie de mort et dernier supplice"

L’Eglise toute-puissante n’était pas tendre avec les pauvres femmes naïves qui se trouvaient enceintes hors mariage et ne pouvaient pas garder et élever seules leur enfant. La peine de mort a été abolie, mais la sévérité des juges (majoritairement masculins) vis-à-vis des femmes enceintes qui souhaitaient se débarrasser d'un enfant non désiré ne s'est pas affaiblie. Cette situation a perduré des siècles, jusqu’à la loi de Simone Veil du 17 janvier 1975 légalisant en France l’interruption volontaire de grossesse. Certains voudraient même revenir sur ce droit, qui d’ailleurs n’est pas acquis dans bien des pays du monde.