mercredi 14 septembre 2022

Un bagnard en 1873

 

Le ciel est barbouillé en noir. Le vent furieux couche les herbes de notre île. Il secoue le gros banian et l’araucaria. Bientôt, ça va péter !

L’air se met à tournoyer comme une toupie. Le garde-chiourme gueule :

- Un cyclone ! Rentrez immédiatement dans vos quartiers !

Mon pote me tire à l’intérieur.

- Vaut mieux obéir.

- Jamais vu un vent pareil, foi de Jean-Baptiste !





- T’es nouveau en cabane. T’en a pris pour combien ?

- Perpète ! J’ai évité de justesse le massicot.

- T’avais fait quoi ?

- Tué ma femme. Le commissaire de police des Batignolles, il a rien compris. Les jurés non plus. Y m’ont sacqué au procès. Désirée et moi, on était natifs de Saint-Quentin. Là-bas, y’avait plus de boulot. On rêvait d’une vie meilleure. On s’est installés rue Dulong, à Paris, dans l’dix-septième. J’croyais que ça serait facile. Pour se faire du blé, on aurait pris une loge de concierge. Peinards !

Cet été-là, c’était mortel. Une chaleur d’enfer sous le cagnard ! Y’a pas à dire, ça donne soif, un temps comme ça. J’suis devenu un régulier de l’estaminet. En rentrant chez moi, j’étais cueilli par ma bourgeoise.

- Alors, t’as trouvé du travail ?

J’étais bien obligé de répondre que non. Mais ça m’énervait. Et elle insistait :

- Si t’étais courageux, t’aurais d’jà trouvé du travail depuis longtemps !

Faut pas me pousser. Je sors vite de mes gonds. Je me suis approché d’elle :

- Attention à toi ! Je vais cogner !

Je voulais juste la faire taire. J’ai ma fierté, quand même ! On parle pas comme ça à son homme ! Mais elle a continué :

- Monsieur fait la fine bouche ? Y’a pas de sot métier, pourtant.

- Tais-toi ! J’vais te casser la gueule ! que j’ai dit.

Je me suis jeté sur elle et j’ai serré son cou pour l’étrangler. Elle a réussi à se dégager et elle s’est enfuie.

J’ai bien pensé qu’elle était allée chez les Viard. J’ai attendu un peu, pour me calmer. Y’avait plus une goutte de pinard dans cette piaule. Et j’avais pas un rond ! J’ai avalé un verre de château-la-pompe (pouah !). Et j’suis allé récupérer ma gonzesse.

Viard, c’est le garde-meuble, au 31 de notre rue. On s’connaît depuis longtemps. Il créchait comme nous à Saint-Quentin. Il vit avec sa sœur.

La Désirée était assise à leur table devant un verre de sirop de menthe.

- Bonjour ! j’ai dit. C’est fini, l’histoire. Je te taperai plus. Faisons la paix !

Elle voulait pas venir. Elle avait l’air de s’être entichée de cet imbécile de Viard.

- Allez ! Viens, bobonne ! On rentre à la maison.

- Pour que tu me battes encore ?

- Mais non. Bon sang ! Je ne te ferai aucun mal.

- Sûr ?

- Oui, promis !

- Et tu ne passeras plus tes journées à picoler ?

- D’accord !

- Tu dis ça…

- Bon alors, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

Elle est rentrée avec moi dans notre bicoque. On s’est rabibochés. Mais, comme j’disais, y faisait sacrément chaud, cet été-là. La soif, ça m’a pas lâché.

Le matin du quinze août, j’avais déjà pris deux ou trois canons sur le zinc du marchand de vin. Je suis rentré pour croûter avec ma bonne femme. Encore des patates ! Et y’avait même plus de lard ! Le ciel était tout noir. Y’a eu des éclairs. Des grondements ont suivi. Et y s’est mis à vaser comme vache qui pisse. C’est pas que j’en aie jamais essuyé, de la flotte, quand je bossais dans les champs avec mon paternel. C’était pas pareil. Quelle saucée !

Y’avait plus de picrate à la maison. J’ai attendu un peu que l’orage se calme et je suis sorti pour prendre un godet. J’avais plus de fric. Le bistrotier a pas voulu me faire crédit. J’ai senti la colère me monter dans la coloquinte. Je suis rentré dans notre piaule. La Désirée finissait la vaisselle.

- Donne-moi de l’oseille, que j’ai dit. J’ai soif !

- J’en ai pas.

Sa réponse, ça m’a foutu en rogne. J’ai regardé autour de moi. Y’avait un marteau sur la cheminée. Je l’ai attrapé :

- Je vais te buter !

Elle a pas eu le temps de s’enfuir. Je l’ai saisie d’une main par le col de sa robe, et je l’ai frappée sur le crâne à grands coups de marteau. Elle est tombée par terre, inanimée.

Je l’ai portée sur le lit. Le sang coulait d’une plaie à la tête. Elle bougeait plus.

D’un coup, ma colère est tombée. J’l’aimais bien, quand même, ma Désirée ! Elle m’répétait tout le temps :

- Tu finiras mal ! Tu bois trop.

J’ai fermé la porte de la turne et je suis sorti. Rue de Rome, deux gardiens de la paix faisaient leur ronde.

- Arrêtez-moi ! J’suis un misérable, que j’ai dit en pleurant. J’ai tué ma femme à coups de marteau.

D’abord, ils m’ont pas cru.

Y m’ont emmenés au poste et le commissaire de police m’a interrogé.

- Préméditation ! qu’y disait.

Non ! J’voulais pas la tuer, ma Désirée. J’disais ça quand j’étais beurré.

C’est comme ça qu’un an plus tard, aux Assises, j’ai été condamné aux travaux forcés à perpétuité.

- Ben mon gaillard, tu l’as échappé belle ! Ici, y’a une dizaine de condamnés à mort. Mais pour les autres, c’est guère mieux. Tu verras, sur l’île Nou, on fait pas de vieux os !

 

 

lundi 16 mai 2022

Une enquête généalogique

 

Un jour, il y a longtemps, ma mère m’avait dit : « La Berton avait une fille, Mathilde, qui vivait avec le frère de Tante Marie ». J’avais noté le renseignement sur un petit bout de papier qui a bien failli disparaître. Au moment de jeter de vieux papiers, j’ai retrouvé celui-ci. Comme information, c’était vraiment vague. Pas de noms de famille, pas de dates. A peine le début d’une piste.

Tante Marie (Marie Angéline Lethien) était née le 15 janvier 1880 à Gauchy, arrondissement de Saint-Quentin, dans l’Aisne. Elle avait épousé Georges François (le frère aîné de mon grand-père Marcel François) le 13 janvier 1900 à Saint-Quentin. Elle était la dernière d’une fratrie de six enfants. Elle avait deux frères : Arthur François Lethien, né le 11 juin 1864 à Gauchy et Charles Ferdinand Lethien, né le 19 janvier 1878 à Gauchy. Lequel des deux était en ménage avec Mathilde Berton, si le renseignement de ma mère était exact ?


Sur Filae, j’ai trouvé une certaine Mathilde Berton, de Folembray (Aisne), qui avait été mariée deux fois (après veuvage) et avait épousé un homme veuf, comme elle. Mais rien n’indiquait qu’elle aurait vécu à Gauchy ou à Saint-Quentin. En outre, elle était née en 1838 à Folembray, arrondissement de Laon, alors que les frères Lethien étaient nés en 1864 et en 1878 à Gauchy. Ça ne collait pas !

En poursuivant mes recherches dans d’autres communes des environs, j’ai trouvé l’acte de naissance d’une Mathilde Amélie Georgette Berton à Grugies, canton de Saint-Simon, arrondissement de Saint-Quentin, le 11 avril 1877. C’était déjà mieux ! En outre, il y avait deux mentions marginales :

- mariée à Saint-Quentin le 15 février 1936 avec Charles Ferdinand Lethien.

- décédée à Saint-Quentin le 1er septembre 1955.

Ainsi, c’était elle, la Mathilde ! Et elle était bien mariée avec le frère de Tante Marie.

Son père était Charles Louis Alfred Berton et sa mère, Prudence Aglaé Sellier. La fameuse Berton.

Mais en regardant mieux les dates, je note que Mathilde a épousé Charles en 1936, à l’âge de 58 ans. Il est donc fort probable qu’elle vivait en concubinage avec lui depuis assez longtemps. D'où le ton réprobateur de ma mère quand elle m'a donné l'information. Pourquoi ? À son âge, Mathilde n’avait plus besoin du consentement de ses parents pour se marier.

Peut-être qu’il n’était pas libre ?

La recherche continue…

jeudi 3 février 2022

Un ancêtre au bagne

       Bonjour à tous ! Je vous souhaite une bonne année 2022 et de fructueuses recherches généalogiques. De mon côté, j’ai repris mi-janvier mes recherches généalogiques après une longue interruption, et voilà que je tombe sur une pépite.

Pour illustrer un livre-photos que je suis en train de préparer sur « l’histoire de ma famille maternelle », je suis allée sur Filae, espérant y trouver les parents de mon arrière-arrière-grand-mère Désirée Clélie Santin, née le 28 juillet 1848 à Saint-Quentin, dont je possède une photo (probablement la plus ancienne de toute ma collection). J’ai fait chou blanc. Rien trouvé sur Filae.

 



Je suis donc allée voir sur Geneanet. Et là, surprise ! Je découvre que son père, Jean-Baptiste Santin, avait été condamné au bagne et qu’il était mort là-bas, à Nouméa, en Nouvelle Calédonie, à l’âge de 66 ans ! Pas possible ! Ce devait être une erreur ! Dans cette famille, les hommes s’appelaient Jean-Baptiste de père en fils sur plusieurs générations, mais celui-ci était peut-être issu d’une autre branche ?

En me plongeant dans les tables décennales de Saint-Quentin et de Fayet (Aisne), en effet, j’ai trouvé plusieurs autres Jean-Baptiste Santin. Mais aucun ne correspondait à mon aïeul.

J’ai poursuivi cette piste dans les archives départementales en ligne et j’ai trouvé l’acte de mariage (en généalogie, l’acte le plus important, une mine d’informations sur une famille), à Saint-Quentin, de Jean-Baptiste Santin, cultivateur, avec Désirée Clélie Lecomte. Je savais que cette dernière était la mère de Désirée Clélie Santin (et les prénoms le confirmaient). C’était donc bien eux ! J’avais l’acte de décès de Désirée Clélie Lecomte, décédée à Paris le 15 août 1872, âgée de 46 ans. Le couple habitait donc la capitale, à cette époque. Et Jean-Baptiste Santin était donc peut-être aussi décédé à Paris.

J’ai recommencé ma recherche sur Filae en mettant Paris au lieu de Saint-Quentin, et c’est alors que je l’ai trouvé – en première position, même – l’acte de décès de Jean-Baptiste Santin, âgé de 66 ans, homme de peine, le 19 novembre 1892. Pas à Paris, comme je le croyais, mais transcrit depuis le registre d’état civil de la circonscription de l’île Nou (Nouvelle Calédonie et dépendances). Cette fois-ci, pas d’erreur. C’était bien lui. Né le 1er janvier 1826 à Saint-Quentin, veuf de Clélie Désirée Lecomte, père d’un enfant, et fils de Jean-Baptiste Santin et de Zélie Cailleaux, qui figuraient dans mon arbre généalogique.

Alors, que s’est-il passé ? Il est condamné en 1873, à Paris, un an après la mort de sa femme. Quelle grave bêtise, quel crime a-t-il commis ? Sa fille, Désirée Clélie, s’était mariée en 1867, à l’âge de 18 ans, et n’habitait plus à la maison. Heureusement pour elle ! Comment savoir ? C’est un secret de famille (honteux) dont on ne m’avait jamais parlé. Peut-être même que ma mère, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère l’ignoraient ?

jeudi 31 janvier 2019

Secrets de famille


Tout d’abord, j’aimerais présenter mes meilleurs vœux pour 2019 à tous mes amis généalogistes. Je vous souhaite une année heureuse, des recherches fructueuses, et des découvertes prometteuses que vous nous ferez partager sur votre blog…
L’année dernière, vous l’avez peut-être remarqué, je n’ai pas écrit grand-chose sur ce blog. J’étais un peu en panne d’inspiration et mes recherches en étaient au point mort. Je préparais mollement un livre de photos et de textes sur ma famille paternelle. J’en étais arrivée au chapitre concernant les trois frères Mouton partis s’installer à Key West (Floride). J’avais réuni, croyais-je, à peu près tous les événements et les dates, mais je manquais de photos pour illustrer mes pages. 

La conserverie d'Armand Granday à Key West
(collection personnelle de Josette)

C’est alors que j’ai reçu un message étonnant sur Facebook (messenger).
Une dame que je ne connaissais pas, Françoise Bobillon, m’a écrit qu’elle avait lu sur mon blog le billet (du 26 mai 2016) intitulé « Le mystère des frères Mouton s’éclaircit » et que cette histoire l’avait particulièrement frappée. En effet, sa sœur était « nounou » pour la DDASS de l’Yonne et a élevé un grand nombre d’enfants qui lui étaient confiés. Parmi eux, une petite fille, Chantale, que Françoise Bobillon considère un peu comme sa nièce. Or, il y a quelques jours, Françoise Bobillon est tombée, un peu par hasard, chez sa sœur, sur un album de photos et d’autres documents qui l’ont intriguée. On y voyait beaucoup de photos de Key West, des tortues, etc.

A gauche, Charles Mouton  Junior avec la tortue, près de lui son père,
et tout à droite, Louis Mouton (collection personnelle de Ghislaine)

Malheureusement, sa sœur est âgée et n’a plus toute sa tête. Elle a perdu la mémoire, elle a tout oublié. On ne peut plus l’interroger. Françoise a donné l’album et les papiers à Chantale, très émue. Outre les photos, il y a des lettres adressées à Chantale. Son père s’appelait Charles Mouton, mais il ne l’a pas reconnue. Elle porte donc le nom de sa mère, Léotet. Ses parents n’étaient pas mariés. A la mort de sa mère, vers 1968, Chantale n’avait que 8 ans. Elle a d’abord été confiée à la DDASS et environ un an plus tard, elle a été placée chez cette nounou, la sœur de Françoise.
Charles n’a pas reconnu sa fille, mais la ressemblance est frappante, paraît-il, jusqu’à un grain de beauté à la joue gauche, tout comme on en voit un sur le visage de Charles, sur des photos d’identité. Charles venait quelquefois voir sa fille chez la nounou. Elle sait que l’un de ses frères, Jacques, est décédé en 2000, alors qu’elle-même était âgée de 40 ans (Chantale est née le 15 août 1960 à Sens). Etait-il ou non un fils de Charles ? C’est probable. Avait-il été reconnu ? Quel nom portait-il ?
Chantale a un autre frère, Gérard, et une sœur, Danièle.
Chantale avait entendu dire qu’elle avait d’autres frères et sœurs (ou demi) et que son père avait des origines américaines… C’est tout.
Parmi les documents retrouvés figure notamment un passeport maritime où sont portés la date et le lieu de naissance de son père : Key West. Il y a donc de fortes chances pour que Chantale soit la fille naturelle de Charles Mouton Jr. et la demi-sœur de Ghislaine Mouton-Behar.
Charles avait une double vie…

Ghislaine Mouton-Behar et sa famille
devant le restaurant Turtle Kraals à Key West
(collection personnelle de Ghislaine)

J’ai recontacté Ghislaine. Cette nouvelle découverte l’a surprise. Elle ne s’y attendait pas. Cependant, à bien y réfléchir, l’histoire était plausible, car elle se souvient d’un père souvent absent. Alors, elle a décidé de reprendre l’enquête, en interrogeant ses frères et sœurs plus âgés (89 et 88 ans) avant qu’il ne soit trop tard.
Sa sœur Jacqueline n’a rien su car elle s’est mariée quand Ghislaine avait 4 ans et elle a quitté le nid familial. Jusque-là, leurs parents vivaient comme un couple normal, sans équivoque. Les absences répétées de leur père ne l’inquiétaient pas car son affaire à Sens le prenait beaucoup (et pour cause). En effet il avait monté une entreprise de transport, dirigée vers le transport de gros volume (fonderie). Et comme leurs deux frères travaillaient avec lui, pas de souci.
Pourtant, beaucoup plus tard, quand Ghislaine avait 12-13 ans, Jacqueline a commencé à trouver anormal les grands espaces entre les visites de leur père, et son absence aux réunions familiales, qui se faisaient de plus en plus rares. C’est alors qu’elle a émis quelques soupçons, mais leur maman n’en parlait pas et Jacqueline n’osait pas aborder le sujet.
Son frère Guy, lui, était bien au courant, car quand il est rentré du service militaire, leur mère a demandé à Charles de le prendre pour travailler avec lui (il devait servir d’éclaireur et raconter à sa mère ce qui se passait là-bas). Donc, il y avait une femme dans son bureau qui avait une fille d’une trentaine d’années, et Charles a eu trois enfants avec l’une de ces dames, soit deux garçons qu’ils ont appelés Jacques comme le frère de Ghislaine et Gérard dit Titi comme son neveu et Chantal comme sa nièce, comme cela il ne se trompait pas dans les prénoms !
Quand Charles est décédé, le 3 mars 1973, la petite fille de 12 ans n’avait déjà plus sa mère. C’est donc pour cela qu’elle a été mise à l’assistance publique.
Le neveu de Ghislaine (58 ans), fils de son frère Jacques, qui est décédé le 20 janvier 2017, voyait le Titi à Sens, car ce frère aîné, Jacques, était aussi parti à Sens rejoindre leur père pour lui succéder dans l’entreprise, ce qu’il a fait d’ailleurs. Mais afin de ne pas faire de peine à sa mère, il se taisait et tout était caché.
En 1967 ou 1968, quand Charles Mouton fils a vendu la maison de son père à Montereau-fault-Yonne, il a déménagé ses affaires et les a emmenées à Sens, d’où certainement l’album dont parle Chantale. Le frère de Ghislaine, Guy, a raconté qu’en voyant Chantale, il trouvait qu’elle lui ressemblait.
Jacqueline, la sœur de Ghislaine, a retrouvé une médaille de la Sainte Vierge sur laquelle est gravé un nom, Chantal (sans E) et une date : 28 juillet 1963. A qui appartenait-elle ? C’est un autre mystère.
Si c’est une date de naissance, ce doit être celle de l’autre Chantal, la nièce de Ghislaine, mais la fille de qui ?
Il faudrait retrouver les dates de naissance des frères et de la sœur de Chantale pour savoir à partir de quand Charles a eu un double ménage. Successivement ou en même temps ?

Il s’en est fallu de peu que ce secret de famille si bien gardé ne disparaisse dans un oubli total et que Chantale ignore à tout jamais ses origines familiales. C’est la lecture de mon blog généalogique qui a rouvert la boîte aux secrets. Cela prouve que, pour les enfants abandonnés, la recherche de leurs racines demeure à tout âge un besoin impérieux.
Ghislaine, Chantale, Josette et moi avons les mêmes arrière-grands-parents : Nicolas Mouton (ou Louis Nau) et Hermine Granday, qui ont eu 3 fils : Marie Nicolas, Louis Marie et Charles Alexandre. Josette et moi descendons de Marie Nicolas, alors que Ghislaine et Chantale descendent de Charles Alexandre.
Il me reste à retrouver les détails de la vie de Nicolas Mouton, qui n’est vraisemblablement pas notre véritable arrière-arrière-grand-père puisqu’il était absent à la naissance de ses trois enfants. Nous ne devrions pas nous appeler Mouton, mais Nau, car Louis Nau était certainement le père biologique des trois enfants d’Hermine Granday.
Alors, Nicolas Mouton (1823-1887) avait-il, lui aussi, une double vie ?

jeudi 25 janvier 2018

Louis Jean Baptiste Nau, un personnage énigmatique

La publicité de Jean-Louis Beaucarnot sur Filae a attiré mon attention. Depuis que je me suis inscrite sur Filae, toutes mes recherches ont été vaines. J’en étais venue à ne plus me servir de leur site. J’ai pourtant regardé la vidéo du généalogiste enthousiaste et ensuite, sans grand espoir, j’ai tapé un nom dans Filae. La branche « Naud », c’était ma première résolution en matière de généalogie pour ce mois de janvier 2018.
J’avais écrit « Naud Louis Jean Baptiste » et rien n’est sorti. J’étais prête à abandonner, découragée. J’ai quand même fait un dernier essai, en entrant le nom de sa compagne, Balothe Blanche Julie. Et là, surprise ! Je croyais que ces deux-là vivaient en concubinage et voilà que je trouve leur acte de mariage en bonne et due forme le 22 septembre 1896… à Paris, 3ème arrondissement, avec l’orthographe « Nau ».
Qui était donc ce Louis Jean Baptiste Nau ?
Lors de mes toutes premières recherches généalogiques, en 2010, mon père, âgé de 90 ans, avait évoqué par bribes des souvenirs très anciens. Petit garçon, il était allé une fois avec sa grand-mère à Pontault-Combault, où vivaient le « père Nau » et la « vieille Blanche ». Il ne m’a pas expliqué qui ils étaient. Le savait-il lui-même ? 

L'église de Pontault-Combault
(collection personnelle)

Alors, en fouillant patiemment dans les recensements - puisqu’en 2010 Filae n’existait pas - j’ai fini par trouver, vivant à Pontault-Combault, en 1901, route de Brie à Champs, Nau Jean, 57 ans, chef de ménage, manouvrier, et Blanche Julie, 49 ans, sa femme. Jean était son deuxième prénom mais il s'agissait bien de la même personne. Il manquait aussi le nom de famille de sa compagne (je l’ai trouvé ultérieurement). Je ne croyais pas que c’était sa femme légitime, car souvent, dans les recensements, ces indications sont fantaisistes (je l’ai constaté maintes fois) parce qu’elles sont simplement déclaratives.
Pourquoi n’aurait-elle pas été sa femme ? Parce que, dans les recensements de 1881 et de 1886, j’avais trouvé, à Pontault-Combault, rue du Château-Gaillard, Nau Jean-Baptiste, manouvrier, chef de ménage, qui vivait avec Granday Léonie, couturière, son épouse, et leurs enfants, Nau Léon Octave, Nau Louis Marie, et Nau Charles. En 1891, la « famille Nau » habitait toujours rue du Château-Gaillard. Louis Nau était encore chef de ménage, mais les enfants avaient repris leur patronyme de Mouton.

(Collection personnelle)

Sur les actes de naissance des trois enfants, la mention « né de Granday Léonie Victorine, épouse de Mouton Nicolas Marie, domicile inconnu », prouve bien qu’il ne pouvait pas être leur père. Pour moi, il devenait de plus en plus probable que Louis Nau était leur père biologique.
J’ai donc lu avec attention l’acte de mariage de Louis Nau avec Blanche Balothe. La date m’a frappée : 1896, c’est juste un an après le décès d’Hermine Granday, en juin 1895, âgée de 63 ans. Et parmi les témoins, j’ai trouvé, sans surprise, Marie Mouton, employé de chemin de fer (c’est Louis Marie, celui qui est parti à Key West) et Charles Mouton, soldat au 32ème régiment d’artillerie, son jeune frère, qui est parti aussi à Key West. Est-ce que pour eux Louis était « papa » ou un bon ami de la famille ? Ceux qui savaient ont-ils partagé leur secret ?
Seule, mon arrière-grand-mère Anna, la femme de Marie-Nicolas Mouton (dit Léon), l’aîné des trois frères, a parlé. Elle a dit un jour à ma mère, qui me l’a répété : « Nous ne devrions pas nous appeler Mouton, mais Naud ».

Alors, le père biologique de mon arrière-grand-père ne devrait-il pas entrer, lui aussi, dans ma généalogie ?

mercredi 31 mai 2017

Après la guerre. Vie quotidienne et coût de la vie dans la région parisienne en 1946

Pour mettre à jour quelques éléments en vue d’écrire l’histoire de ma famille, je me suis replongée dans ma petite enfance, juste après la guerre. Grâce aux livres de comptes, scrupuleusement tenus par mes parents, année après année de 1942 à la mort de mon père en 2011 (j’en ai déjà parlé dans mon billet du 3 septembre 2014 « Adieu à ma mère »), j’ai sous les yeux toute leur vie, leurs achats détaillés, et même les menus événements de notre famille (naissances, mariages et décès). Ces livres de compte sont un trésor.


A la naissance, j’étais en bonne santé, mais on m’a fait ondoyer pour plus de sécurité. De ce fait, je n’ai été baptisée qu’un an plus tard. En août 1945, quand je suis née, on n’avait pas vraiment le cœur à la fête. La guerre finissait tout juste et la France manquait encore de tout, ou presque.
J’ai donc été baptisée le 21 septembre 1946, jour de la Saint Mathieu, une grande fille de 13 mois qui parlait déjà, mais ne marchait pas, en l’église St Gervais-St Protais de Bry-sur-Marne, par le père Jean, capucin, ami de mes parents. Mon parrain a été Georges François (mon oncle maternel) et ma marraine Argentine Mouton (ma tante paternelle). Mes parents ont payé 20 francs pour faire sonner les cloches après le baptême et 100 francs pour Monsieur le Curé et ses œuvres. Pour l’occasion, ma mère avait acheté une glace d’un demi-litre pour 8 personnes, qui coûtait 135 francs. Les dragées pour le baptême (20 cornets) ont coûté 140 francs[1] soit environ 11 euros.
Le mois précédent, pour la première fois, mes parents et moi sommes partis en vacances, un séjour d’une semaine dans la famille, à Saint-Quentin, du 19 au 26 août. Les billets de train, aller et retour, ont coûté 1.000 francs (environ 77,83 €), plus 30 francs de billets de quai pour ceux qui étaient venus nous accompagner. Ma mère a acheté sur place deux Maroilles (ce fromage caractéristique de la région) pour 120 francs. Nous avons partagé les frais de nourriture avec la cousine Fernande qui nous recevait. Le lait : 18,90 F x 7 = 132,30 francs, et le pain : 13,20 F x 7 = 92,40 francs.
Mais revenons à la vie quotidienne. Au début de l’année 1946, il y avait encore des cartes de rationnement et des tickets pour se procurer certaines denrées. Ma mère avait découpé dans le journal « Le franc-tireur » ce qu’on pouvait obtenir en échange des tickets. Pour les TF (travailleurs de force) : 375g de pain (par semaine), ainsi que pour les J3 (femme allaitante ou avec un bébé). On recommandait aux mères un régime de « suralimentation d’allaitement », identique au régime conseillé pendant la grossesse. On pensait alors que la femme devait « manger pour deux ».
Il y avait aussi des allocations spéciales pour le bois de chauffage et pour le charbon destinées aux malades soignés à domicile et à certaines catégories vulnérables. Elles étaient réservées : 1) aux enfants nés après le 1er janvier 1940, 2) aux personnes nées avant le 1er avril 1876, 3) aux grands mutilés de guerre pensionnés à 100%. Pour les obtenir, il fallait se présenter à la mairie avant le 1er avril 1946 avec la carte d’alimentation, des pièces justificatives de l’âge, du domicile et des droits. La quantité attribuée était de : 1) 100 kilos pour les affections de la catégorie 1 (aiguës fébriles), d’une durée de 8 jours. 2) 200 kilos pour les mêmes affections d’une durée supérieure à 8 jours. Dans les cas très graves, ce bon pouvait être renouvelé.
Les personnes qui avaient reçu un bon d’attribution exceptionnelle de charbon pouvaient recevoir du bois à la place (100 kg de bois pour 25 kg de charbon). Les bons d’attribution exceptionnelle de bois n’ont été délivrés que jusqu’au 30 avril 1946, sur production d’un certificat médical.
Aux commerçants, on rappelait qu’en échange du coupon 3 de décembre ils devaient remettre aux catégories E, V, J2, J3 du cacao sucré, du chocolat ou des bouchées.
Les rations de février étaient : pour le pain, comme en janvier. Les farines simples et produits assimilés, à l’exclusion des farines panifiables, demeuraient en vente libre. La viande (pour toutes catégories de consommateurs) : 250 g par semaine dont 100 g. de viande congelée et 150 g. servis soit en charcuterie, soit en viande de boucherie.
A propos de viande, il y a eu à cette époque à Marseille un arrivage de 9.000 tonnes de zébu congelé. Le journal explique : « Toutes les grandes villes en recevront, ce sera un grand appoint de viande congelée pour les prochains mois. Qu’on se rassure, le zébu est du bœuf de Madagascar et sa viande est d’excellente qualité ». 
On pouvait également se procurer de la viande de cheval à raison de 100 g. par semaine.
Fromage (pour toutes les catégories) : 100 g pour le mois.
Matières grasses : pour le mois, entre 300 g et 750 g selon les catégories.
Sucre : pour le mois, entre 750 g et 1.250 g selon les catégories.
Pour la viande, le pain et les matières grasses, il y avait des rations supplémentaires pour les TF (travailleurs de force). Mon père, ouvrier, en faisait partie.
Les mois qui suivent, les restrictions se libèrent progressivement.
En avril, ma mère achète 2 litres de vin + 1 TF = 66 francs, 4 bières pour nourrice = 28 francs (on encourageait les mères à allaiter, et ma mère touchait chaque mois une « prime d’allaitement »). En mai, elle obtient également 2 boîtes de sardines (pour J3) à 51,60 francs et 2 boîtes de thon (J3) pour 102 francs. 400 g d’huile (2 rations) coûtent 32,40 francs et 250 g de chicorée (2 rations) coûtent 10,20 francs. Le café était encore rare (250 gr. de café pur pour 27,70 francs). Mais ma mère achète un succédané de café à 12 francs (je ne sais pas quelle quantité). Le beurre aussi est très rare. 500 g de beurre coûtent 75 francs (5,8 €). Pour mémoire, le beurre coûte aujourd’hui autour de 3,0 € les 500g. Ma mère achète 300 g de margarine pour 23 francs, un morceau de lard pour 135 francs et 400 g de saindoux à 24 francs. Avec des bons J3 et E (enfant), ma mère achète 1 kg de confiture pour 69,60 francs et 500 g de chocolat (E=125g et J3=375g) pour 48 francs.
En juin, ma mère obtient ¼ de litre de rhum (pour J3) à 51,30 francs. Elle précise qu’elle a pu acheter deux œufs sans tickets.
Avec les beaux jours, les achats se diversifient : un petit lapin (190 francs), soit 14,8 €, 12 kg de pommes de terre (194 francs), 250 g de cerises (18,75 francs), 500 g d’asperges (24 francs), 2 kg de carottes (35 francs), 1 kg de petits pois (25 francs), 1 botte d’oignons (10 francs), 1 botte de cresson (6 francs), 2 kg de pêches au marché (112 francs), 500 g de haricots verts (22,50 francs) etc.
Les boissons : 1 litre de vin coûte 26 francs, 1 bouteille d’eau de Vichy coûte 8,50 francs, 1 bière 8,30 francs. Les verres sont « consignés » 6 francs, qu’on vous rembourse quand vous les rapportez.
Le « canard enchaîné » coûtait 3 francs (0,23 €). Il coûte aujourd’hui 1,20 €. Outre ce journal, mon père lisait Sciences et vie (20 francs) et ma mère « Mode du jour » (4 francs) et « Modes et Travaux » (20 francs).
Mon père fumait des cigarettes « élégante » à 25 francs, et des « Gauloise » à 20 francs.
On achetait les médicaments à l’unité (oui !) : 6 suppositoires à 4 francs= 24 francs. Chez le dentiste, une extraction et deux plombages coûtaient 420 francs.
Une coupe de cheveux (homme) coûtait 20 francs.
Un carnet d’autobus coûtait 20 francs (1,56 €)
Dans beaucoup d’appartements et de maisons, il n’y avait pas de salle de bain. On allait aux « bains-douches ». L’entrée coûtait 5 francs.
La quittance de gaz (76 m3) coûte 280 francs, pour (82 m3) elle coûte 390 francs. L’électricité coûte 350 francs (je ne sais pas quelle quantité).

A partir de septembre 1946, ma mère semble varier davantage ses menus (langue de veau, saucisse de Toulouse, harengs frais, jambon, épaule de mouton, pâté, fromage de chèvre, cervelle de mouton, entrecôte, bœuf bourguignon, échine de porc, etc.). Elle achète dorénavant des baguettes (2 pour 12,80 francs), au lieu du pain ordinaire. Elle se rend au « goûter des mères » organisé par la municipalité, où elle rencontre d’autres mamans, qui coûte 5 francs.
La vie commence à reprendre un cours normal.




[1] 1 Franc de 1946 = 0,07783 € (d’après les tableaux de l’INSEE réactualisés en corrigeant les effets de l’inflation)

jeudi 9 février 2017

Etre une femme en 1785 à Prémont en Cambrésis

Ces derniers temps, cessant de faire l’abeille, je me suis plongée dans un gros registre du village de Prémont en Cambrésis (dans l’Aisne), berceau d’une branche de ma famille maternelle. Nous sommes en 1785. Prémont est un bourg de 1400 âmes. Je regarde tous les actes un à un, en cherchant les noms de mes ancêtres. Les actes de baptême et d’inhumation sont assez courts. Seuls, les actes de mariage, qui fournissent les noms des parents des deux futurs époux et citent au moins quatre témoins, sont un peu plus longs à lire.

Soudain, au détour d’une page, je tombe sur un acte de naissance inhabituellement long. Ce n’est pas un acte de baptême ordinaire.

Le 5 septembre 1785, le curé, Jacques François Locquet, est appelé en urgence au château de Prémont pour ondoyer un nouveau-né, une fille, à cause du péril de mort. L’enfant est née du légitime mariage de Messire Pierre Hubert de Sart, chevalier, seigneur de Nielles et autres lieux, lieutenant du roy des provinces de Flandres, Hainaut, capitaine au régiment de Duffort Dragon et de Dame Marie Antoinette Charlotte Josephe de Sart, son épouse. Les témoins sont : Charles François de Sart, chevalier, seigneur de Prémont, Elincourt, Villers Guillain, pair de Cambresis, ayeul maternel de l’enfant, de Messire Louis Charles Ignace Van Cappel de la Nieppe, député de la noblesse du Cambrésis et d’Ambroise Domail, chirurgien juré demeurant à Bohain aussi de ce diocèse, qui a certifié de la nécessité du baptême. Toutes les personnes présentes ont signé.

Voilà du beau monde ! Contrairement à beaucoup de mes ancêtres illettrés, les châtelains étaient instruits. Après un petit coup d’œil sur internet pour connaître l’histoire du château de Prémont, j’apprends qu’il y avait d’abord une forteresse importante, détenue par le seigneur Gilles de Prémont, qui a été détruite en 1553 par les troupes d’Henri II. Un second château, construit par Nicolas Le Sart vers 1620 l’a remplacée. La terre de Prémont appartenait toujours à la famille Le Sart au moment de la Révolution. Mais finalement, le château-fort, qui possédait quatre tours rondes, a été détruit en 1794.

J’essaye d’imaginer le village à cette époque, en me basant sur d’autres châteaux de ce type qui ont été reconstruits ou restaurés, comme Blandy-les-Tours, en Seine et Marne (du côté de ma famille paternelle). L’église Saint-Germain, dans laquelle officiait le curé Locquet, a été entièrement détruite en 1918, mais elle a été reconstruite en 1920.

L'église Saint Germain de Prémont
 https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pr%C3%A9mont_(Aisne)_%C3%A9glise.JPG#/media/File:Pr%C3%A9mont_(Aisne)_%C3%A9glise.JPG


 En outre, une rue qui porte le nom de « La Maladrerie » indique qu’il y avait à cet emplacement un hôpital.

Je ne sais pas si la petite fille née au château, qui n’avait pas encore reçu de nom de baptême, a survécu. Il faudra que je feuillette à nouveau le registre, maintenant que je connais le début de son histoire. Mais j’ai trouvé à Prémont autour de la même période deux actes d’inhumation qui révèlent le danger que représentait alors un accouchement à la maison. Voici en résumé ces deux actes :

Le 2 février 1785, a été inhumé le corps de Marie Anne Josephe de Vaillÿ, décédée d’hier, âgée d’environ 19 ans, épouse de Charles François Quennesson, mulquinier. Et le 2 février également a été inhumé le corps d’un garçon né et décédé le même jour, après avoir été ondoyé dans l’incertitude de vie par Michel Crinon, chirurgien de cette paroisse (…) fils de Charles François Quennesson, mulquinier et de Marie Anne Josephe Devaillÿ, ses père et mère. Pauvre Marie Anne Josephe ! Son premier accouchement lui a été fatal ! Ce Charles François Quennesson est mon sosa 110. Il n’a pas tardé à se remarier, le 6 septembre de la même année, avec Marie Rose Célestine Piette, fileuse, qui lui a donné au moins trois enfants !

J’ouvre une petite parenthèse sur l’origine du nom de famille « Quennesson ». D’après Geneanet, c’est un nom d’origine germanique formé par suffixation à partir de Cuene (= brave). Moi, j’aurais cru qu’il venait de « canasson » qu’on dit d’un mauvais cheval ! Je préfère évidemment l’étymologie proposée par Geneanet, encore qu’elle me semble un peu tirée par les cheveux…

Je reviens à Prémont. Le curé termine chaque année son registre en rappelant qu’il a bien publié tous les trois mois au prône de la messe paroissiale l’édit du roi Henri II de février 1556.
« Je soussigné prêtre curé de la paroisse de Saint Germain de prémont en cambrésis, diocese de noÿon certifie avoir publié au prône de notre messe paroissiale l’édit du roi henri second de 1556 le dimanche qui a precedé les quatres temps de chaque saison de cette presente année à Prémont ce trentunieme jour du mois de decembre l’an mil sept cents quatre vingt quatre ».

BnF Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8620797t

De quoi s’agissait-il donc ? J’ai été voir sur internet et j’ai découvert des informations surprenantes à propos du fameux édit du roi Henry II sur le blog de Fred « GénéaBlogique » http://geneablogique.blogspot.fr/2011/12/ledit-du-roi-henri-ii.html

Cet édit vise les femmes qui, ayant celé leur grossesse et leur accouchement, ont laissé périr leurs enfants sans leur avoir fait donner le sacrement de baptême ni une sépulture coutumière des chrétiens. Le roi insiste sur la gravité du crime d’infanticide (homicide). Les sanctions envers les mères reconnues coupables sont très radicales : ces femmes encourent la peine de mort !

"statué et ordonné, et par édit perpétuel, loi générale et irrévocable, de notre propre mouvement, pleine puissance et autorité royale, disons, statuons, voulons, ordonnons et nous plaît, que toute femme qui se trouvera deuement atteinte et convaincue d'avoir celé, couvert et occulté, tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l'un ou l'autre, et avoir prins de l'un ou de l'autre témoignage suffisant, même de la vie ou mort de son enfant, lors de l'issue de son ventre, et qu'après se trouve l'Enfant avoir esté privé tant du saint sacrement de baptême, que sépulture publique et accoutumée, soit telle femme tenue et réputée d'avoir homicide son Enfant. Et pour réparation, punie de mort et dernier supplice"

L’Eglise toute-puissante n’était pas tendre avec les pauvres femmes naïves qui se trouvaient enceintes hors mariage et ne pouvaient pas garder et élever seules leur enfant. La peine de mort a été abolie, mais la sévérité des juges (majoritairement masculins) vis-à-vis des femmes enceintes qui souhaitaient se débarrasser d'un enfant non désiré ne s'est pas affaiblie. Cette situation a perduré des siècles, jusqu’à la loi de Simone Veil du 17 janvier 1975 légalisant en France l’interruption volontaire de grossesse. Certains voudraient même revenir sur ce droit, qui d’ailleurs n’est pas acquis dans bien des pays du monde.