Quand, petite fille, je suis arrivée
pour la première fois à Aussois (Savoie), en août 1959, ce village de montagne ne
comptait que 350 âmes. C’était un village à l’économie agro-pastorale de
subsistance, situé à 1 489 m. d’altitude en Haute-Maurienne. Les maisons étaient
groupées autour de l’église, de style sarde, sur un plateau ensoleillé. Le
tourisme « vert » était balbutiant : un seul hôtel, une maison
familiale et quelques chambres à louer chez l’habitant.
Le tourisme « blanc »
(sports d’hiver) qui attirait les citadins dans les grandes stations comme
Chamonix, Megève, Courchevel, pointait tout juste le bout de son nez dans la région.
A Aussois, il n’y avait que deux pistes et deux remontées mécaniques : le
téléski de la Charrière et celui de la Dotta, derrière l’église (pour les
débutants).
Je venais d’une grande ville où la vie
était bien différente. A Paris, chacun suivait son chemin sans s’occuper des
autres, et dans les immeubles qui s’alignaient comme des boîtes d’allumettes,
on ne connaissait même pas son voisin.
A Aussois, mes parents et moi nous
avons tout de suite été accueillis chaleureusement. Nous étions logés chez
l’habitant. Le confort était rudimentaire. On ne parlait pas encore
d’écotourisme ni de gîte à la ferme, mais c’était cela en quelque sorte. Nous
avions une chambre dans une maison traditionnelle donnant sur la place
principale du village. Je suis vite devenue amie avec les quatre filles de la
maison et j’allais jouer à « cache-boîte » avec elles et les autres
enfants sur la place. Mes parents, de leur côté, ont sympathisé avec les gens
du pays : les voisins, les commerçants, le facteur, le carillonneur, le
garde-champêtre…
Nous sommes revenus l’année suivante,
et encore l’année suivante, et ainsi de suite pendant des années. Tous les ans,
nous passions un mois complet à Aussois, l’été. Le village était petit, tout le
monde se connaissait et nous avons bientôt été adoptés.
Assise sur un banc devant la chapelle
Saint Roch, la vieille Sido, toute vêtue de noir, m’a enseigné (un peu) le
patois du pays. Félix Colly, le carillonneur, m’a permis de monter avec lui
dans le clocher et m’a montré comment il faisait sonner les quatre grosses
cloches. Angelo Pellegrinelli m’a appris à traire les vaches. Marie m’a montré
comment faire le beurre de baratte.
Je m’étais fait beaucoup d’ami(e)s. Certains
noms de famille revenaient souvent. Des patronymes typiques de la région,
comme : Bois, Col, Ratel, dont on comprend facilement l’étymologie. Et
puis d’autres, fréquents à Aussois, comme : Arnaud, Chardonnet, Colly,
Couvert, Damevin, Détienne, Fressard, Gros, Lathoud, Marnézy, Sanz, etc.
Je demandais à mes copines quel était
le lien de parenté entre un tel et une telle. Et parfois je
m’embrouillais : Félicien Col, toujours assis sur le banc devant sa
maison, comme un patriarche, avec son chapeau noir, n’était pas le grand-père
de Fifine, mais celui de Nicole. Nous avons participé aux travaux des champs
(les foins, les moissons), nous sommes montés à l’alpage avec les vaches. Nous
n’avions pas de voiture, pas de téléphone, pas de télévision. La vie était
encore presque la même qu’au XIXe siècle.
Les années ont passé et je me suis
mise à la généalogie. C’est d’ailleurs grâce à (ou à cause de) deux amies
aussoyennes que je me suis intéressée à cette discipline. Alors, bien que je ne
recherche pas mes propres ancêtres dans ce village, je tente de retracer l’histoire
de ce petit village proche de la frontière qui est passé de l’Italie à la France.
Aujourd’hui, le nombre d’habitants a
plus que doublé et je ne connais plus tout le monde comme autrefois. Mais
Aussois a gardé son esprit « village » malgré l’afflux des touristes,
et plutôt que de généalogie, je devrais parler d’histoire. Oui, ce que je
cherche à reconstituer, sans remonter jusqu’à Mathusalem, c’est la vie et les
coutumes d’un village et des gens qui ont précédé ceux que j’ai connus. Je ne suis encore qu'au tout début de mon projet.
Cette quête de racines me ramène au
village de mes ancêtres : Moisenay,
dans la Seine et Marne. Plusieurs générations de « Mouton » ont vécu
dans ce village, qui n’en est plus un. En 1954, il comptait 740 habitants, et
en 2012, 1269. D’après la monographie de Moisenay par Lhioreau,
instituteur (ces monographies avaient été commandées à l’occasion de
l’exposition universelle de 1900), cette commune se trouve à 10 km du Châtelet-en-Brie
et à 8 km de Melun. Les communes voisines sont Saint Germain Laxis, Crisenoy et
Fouju au nord, Blandy-les-Tours à l’est, Sivry au sud et Maincy à l’ouest dont
il est séparé par le parc de Vaux-le-Vicomte.
L'église Saint Martin de Moisenay date du XIIe siècle (voir le site de la commune de Moisenay) |
Moisenay était un village exclusivement
agricole. La seule activité industrielle était l’extraction de la pierre
meulière dans des carrières. Le premier maître d’école était René Girard (de
1710 à 1740). Lui a succédé son petit-fils, Martin Quinsard. Il était en même
temps vigneron et carillonneur. Malheureusement, il est mort à 26 ans, le 1er
mars 1743, n’ayant été instituteur que pendant 3 ans à peine. Les successeurs
sont Lhuillier, Maillard, Bronsard, Journault. Puis c’est Jacques Vol
(1760-1806). C’est une période de grands changements : la Révolution et
l’écroulement de la monarchie.
La tradition pesait encore sur les
mentalités. On pensait que cela ne servait à rien d’apprendre à lire aux
filles. Même la fille de l’instituteur Jacques Vol lui-même n’a jamais appris à
lire ni à écrire ! Quant aux garçons, ils étaient envoyés au fur et à
mesure des besoins grossir les rangs des armées de Napoléon !
Au début, pour être nommé instituteur
(ou plutôt maître d’école), il suffisait d’un simple certificat de moralité
délivré par le curé. A partir de 1833, Guizot songe à organiser l’instruction
publique sur des bases solides et à prendre des mesures efficaces pour assurer
le recrutement des instituteurs.
Les patronymes les plus fréquents à
Moisenay étaient : Camus, Chéron, Dauvergne, Genelle, Girard, Gragy,
Maillard, Moreau, Quettier, Ragan, Rebour, Robichon, Talon, Vidon, etc. Et, à
force de rencontrer ces gens dans les registres en cherchant mes ancêtres (leur
naissance, leur mariage, leur décès) j’ai un peu l’impression de les connaître
personnellement, comme si j’avais moi-même vécu dans le village de Moisenay… Inutile de dire que ce pourrait être une bonne occasion de faire une balade dans la Brie dès le retour des beaux jours.
Bonjour, Nicole.
RépondreSupprimerJe ne crois pas que nous nous connaissions. Je viens aussi à Aussois depuis la fin des années 50 et je suis intéressé par vos recherches.
De mon côté, je note quelques informations (très peu) pour soulager ma mémoire. Depuis peu, j'habite Aussois, rue d'En bas.
N'hésitez pas à me contacter : bernard.du@pm.me
À bientôt,
Bernard
Je me rappelle le garde-champêtre, Firmin Gros, qui battait le tambour avant de lire des avis :
RépondreSupprimer"Premièrement - Ce soir, à la salle de cinéma, on donne un grand film, en scope et en couleurs : "Salomon et la reine de Saba", etc.
quand ce n'était pas "La Meilleure part", dont le curé avait une copie.
Firmin a épousé Alice dont il a eu Henri et Philippe. J'ai fait les foins avec eux. Firmin avait une sœur, Rose, mariée puis séparée d'Aimé Col (1908-1981) ; pas d’enfants.
B