jeudi 12 mars 2015

Raconter l'histoire d'un village

Quand, petite fille, je suis arrivée pour la première fois à Aussois (Savoie), en août 1959, ce village de montagne ne comptait que 350 âmes. C’était un village à l’économie agro-pastorale de subsistance, situé à 1 489 m. d’altitude en Haute-Maurienne. Les maisons étaient groupées autour de l’église, de style sarde, sur un plateau ensoleillé. Le tourisme « vert » était balbutiant : un seul hôtel, une maison familiale et quelques chambres à louer chez l’habitant.
 
Aussois dans les années 60 (archives personnelles)

Le tourisme « blanc » (sports d’hiver) qui attirait les citadins dans les grandes stations comme Chamonix, Megève, Courchevel, pointait tout juste le bout de son nez dans la région. A Aussois, il n’y avait que deux pistes et deux remontées mécaniques : le téléski de la Charrière et celui de la Dotta, derrière l’église (pour les débutants). 

Je venais d’une grande ville où la vie était bien différente. A Paris, chacun suivait son chemin sans s’occuper des autres, et dans les immeubles qui s’alignaient comme des boîtes d’allumettes, on ne connaissait même pas son voisin.

A Aussois, mes parents et moi nous avons tout de suite été accueillis chaleureusement. Nous étions logés chez l’habitant. Le confort était rudimentaire. On ne parlait pas encore d’écotourisme ni de gîte à la ferme, mais c’était cela en quelque sorte. Nous avions une chambre dans une maison traditionnelle donnant sur la place principale du village. Je suis vite devenue amie avec les quatre filles de la maison et j’allais jouer à « cache-boîte » avec elles et les autres enfants sur la place. Mes parents, de leur côté, ont sympathisé avec les gens du pays : les voisins, les commerçants, le facteur, le carillonneur, le garde-champêtre…

Nous sommes revenus l’année suivante, et encore l’année suivante, et ainsi de suite pendant des années. Tous les ans, nous passions un mois complet à Aussois, l’été. Le village était petit, tout le monde se connaissait et nous avons bientôt été adoptés.

Assise sur un banc devant la chapelle Saint Roch, la vieille Sido, toute vêtue de noir, m’a enseigné (un peu) le patois du pays. Félix Colly, le carillonneur, m’a permis de monter avec lui dans le clocher et m’a montré comment il faisait sonner les quatre grosses cloches. Angelo Pellegrinelli m’a appris à traire les vaches. Marie m’a montré comment faire le beurre de baratte.

Je m’étais fait beaucoup d’ami(e)s. Certains noms de famille revenaient souvent. Des patronymes typiques de la région, comme : Bois, Col, Ratel, dont on comprend facilement l’étymologie. Et puis d’autres, fréquents à Aussois, comme : Arnaud, Chardonnet, Colly, Couvert, Damevin, Détienne, Fressard, Gros, Lathoud, Marnézy, Sanz, etc.

Je demandais à mes copines quel était le lien de parenté entre un tel et une telle. Et parfois je m’embrouillais : Félicien Col, toujours assis sur le banc devant sa maison, comme un patriarche, avec son chapeau noir, n’était pas le grand-père de Fifine, mais celui de Nicole. Nous avons participé aux travaux des champs (les foins, les moissons), nous sommes montés à l’alpage avec les vaches. Nous n’avions pas de voiture, pas de téléphone, pas de télévision. La vie était encore presque la même qu’au XIXe siècle.
 
Intérieur d'un chalet d'alpage (collection personnelle)

Les années ont passé et je me suis mise à la généalogie. C’est d’ailleurs grâce à (ou à cause de) deux amies aussoyennes que je me suis intéressée à cette discipline. Alors, bien que je ne recherche pas mes propres ancêtres dans ce village, je tente de retracer l’histoire de ce petit village proche de la frontière qui est passé de l’Italie à la France.

Aujourd’hui, le nombre d’habitants a plus que doublé et je ne connais plus tout le monde comme autrefois. Mais Aussois a gardé son esprit « village » malgré l’afflux des touristes, et plutôt que de généalogie, je devrais parler d’histoire. Oui, ce que je cherche à reconstituer, sans remonter jusqu’à Mathusalem, c’est la vie et les coutumes d’un village et des gens qui ont précédé ceux que j’ai connus. Je ne suis encore qu'au tout début de mon projet.

Cette quête de racines me ramène au village de mes ancêtres : Moisenay, dans la Seine et Marne. Plusieurs générations de « Mouton » ont vécu dans ce village, qui n’en est plus un. En 1954, il comptait 740 habitants, et en 2012, 1269. D’après la monographie de Moisenay par Lhioreau, instituteur (ces monographies avaient été commandées à l’occasion de l’exposition universelle de 1900), cette commune se trouve à 10 km du Châtelet-en-Brie et à 8 km de Melun. Les communes voisines sont Saint Germain Laxis, Crisenoy et Fouju au nord, Blandy-les-Tours à l’est, Sivry au sud et Maincy à l’ouest dont il est séparé par le parc de Vaux-le-Vicomte.
 
L'église Saint Martin de Moisenay date du XIIe siècle
(voir le site de la commune de Moisenay)

Moisenay était un village exclusivement agricole. La seule activité industrielle était l’extraction de la pierre meulière dans des carrières. Le premier maître d’école était René Girard (de 1710 à 1740). Lui a succédé son petit-fils, Martin Quinsard. Il était en même temps vigneron et carillonneur. Malheureusement, il est mort à 26 ans, le 1er mars 1743, n’ayant été instituteur que pendant 3 ans à peine. Les successeurs sont Lhuillier, Maillard, Bronsard, Journault. Puis c’est Jacques Vol (1760-1806). C’est une période de grands changements : la Révolution et l’écroulement de la monarchie.

La tradition pesait encore sur les mentalités. On pensait que cela ne servait à rien d’apprendre à lire aux filles. Même la fille de l’instituteur Jacques Vol lui-même n’a jamais appris à lire ni à écrire ! Quant aux garçons, ils étaient envoyés au fur et à mesure des besoins grossir les rangs des armées de Napoléon !

Au début, pour être nommé instituteur (ou plutôt maître d’école), il suffisait d’un simple certificat de moralité délivré par le curé. A partir de 1833, Guizot songe à organiser l’instruction publique sur des bases solides et à prendre des mesures efficaces pour assurer le recrutement des instituteurs.

Les patronymes les plus fréquents à Moisenay étaient : Camus, Chéron, Dauvergne, Genelle, Girard, Gragy, Maillard, Moreau, Quettier, Ragan, Rebour, Robichon, Talon, Vidon, etc. Et, à force de rencontrer ces gens dans les registres en cherchant mes ancêtres (leur naissance, leur mariage, leur décès) j’ai un peu l’impression de les connaître personnellement, comme si j’avais moi-même vécu dans le village de Moisenay… Inutile de dire que ce pourrait être une bonne occasion de faire une balade dans la Brie dès le retour des beaux jours.

2 commentaires:

  1. Bonjour, Nicole.
    Je ne crois pas que nous nous connaissions. Je viens aussi à Aussois depuis la fin des années 50 et je suis intéressé par vos recherches.
    De mon côté, je note quelques informations (très peu) pour soulager ma mémoire. Depuis peu, j'habite Aussois, rue d'En bas.
    N'hésitez pas à me contacter : bernard.du@pm.me
    À bientôt,
    Bernard

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  2. Je me rappelle le garde-champêtre, Firmin Gros, qui battait le tambour avant de lire des avis :
    "Premièrement - Ce soir, à la salle de cinéma, on donne un grand film, en scope et en couleurs : "Salomon et la reine de Saba", etc.
    quand ce n'était pas "La Meilleure part", dont le curé avait une copie.
    Firmin a épousé Alice dont il a eu Henri et Philippe. J'ai fait les foins avec eux. Firmin avait une sœur, Rose, mariée puis séparée d'Aimé Col (1908-1981) ; pas d’enfants.
    B

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