« L’oncle Louis », en
réalité mon grand-oncle Louis Jules
François, le frère aîné de mon grand-père, était le fils de mon
arrière-grand-père Louis Xavier
Victor François et de Maria Eugénie Marie Rose Hamet, son épouse. Comme j’ai pu
le vérifier très souvent dans ma généalogie, on donnait généralement le prénom
du père au premier garçon de la famille. Né en 1881 à Prémont, dans l’Aisne,
Louis, devenu blanchisseur à Oëstres (prononcer « ouatte »), dans la
banlieue de Saint-Quentin, avait épousé le 2 juin 1906, à l’âge de 25 ans,
Marthe Eugénie Gabrielle Delaplace, ourdisseuse, qui demeurait à Etreillers, à
quelques kilomètres au sud-ouest de Saint-Quentin.
L’année suivante, le couple avait eu
une petite fille, Yvonne Léonie Flora. Louis et Marthe avaient vécu quelques
années heureuses. Hélas, en 1914, la guerre avait éclaté. Louis, âgé de 33 ans,
avait été rappelé sous les drapeaux. Après quelques mois de durs combats, il
était revenu en permission dans sa famille. Louis ne s’était pas étendu en
récits sur les horreurs de cette guerre de tranchées, mais il avait dit à sa
femme :
- Je n’en reviendrai pas.
C’était prémonitoire. Il est mort le
2 octobre 1914 sur le champ de bataille au Four de Paris (en Argonne) : « tué à l'ennemi ».
J’ignorais tous ces détails avant
d’entreprendre mes recherches généalogiques, et personne dans la famille ne m’en
avait jamais parlé. C’étaient des souvenirs trop douloureux.
Soldats et ruines, source Wikimedia Commons
Sur le site « Mémoire des
Hommes », j’ai trouvé une foule de renseignements, y compris les fameux
J.M.O. (journaux de marches et opérations). J’ai lu avec émotion le récit
détaillé de la bataille à laquelle a participé le soldat de 2ème
classe François Louis Jules, matricule No. 013229, avec le 87ème
régiment d’infanterie, au Four de Paris, en Argonne.
Le texte est sec, d’une précision
toute militaire :
« 1er octobre 1914
1) Le colonel se porte personnellement
avec le bataillon Le Doray sur le Four de Paris, et y prend le commandement des
troupes qui opèrent en ce point, à cheval sur la route de Varcennes, dans la
direction de la Barricade Pon.
2) Le bataillon Maupoil (3 compagnies)
est parti sur la Harazée pour y être mis à la disposition du général de la 4ème
DI (la 1ère compagnie est maintenue dans la région de la Croix
Gentin. Le but de ce mouvement, indiqué par l’ordre d’opérations, est de
rejeter sur le NE l’ennemi qui s’est infiltré dans la vallée de la Biesme, de
réoccuper la Barricade Pon de St Hubert et de se retrancher
solidement en ces forêts »…
Mais les Allemands redoublent
d’activité et les compagnies doivent regagner les premiers retranchements de la
journée. Les pertes du bataillon Le Doray furent dans cette journée de 17
blessés et 14 disparus. Les pertes du bataillon Maupoil furent de 1 tué, 13
blessés et 14 disparus.
Le lendemain, 2 octobre, « l’ordre
d’opérations prévoit le regroupement du 87ème régiment d’infanterie
(c’est le régiment de mon grand-oncle) sous le commandement du coloner
Reuscher, mais les troupes françaises ne parviennent pas à tenir la cote 211,
la Chalade et la rive gauche de la Biesme entre ces deux points. Le bataillon
Le Doray, arrêté à 250m des tranchées allemandes, se fortifie. Le bataillon
Maupoil, en 2ème ligne, occupe St Hubert Pon évacué par
les Allemands et se relie à droite, par le ravin de la Fontaine de Mertier,
avec le 128ème qui attaque Barricade Pon. Le bataillon
bivouaque sur ses emplacements. Les pertes pour la journée sont de 1 tué, 7 blessés et 6 disparus ».
Tel est le récit de la bataille qui a
coûté la vie à mon grand-oncle.
Louis avait 9 ans de plus que mon
grand-père. Celui-ci aussi avait été soldat et il avait même été blessé par un
éclat d’obus. Mais après le décès de son frère Louis, mon grand-père a été
retiré du front et envoyé à l’arrière. Cela lui a probablement sauvé la vie.
Pour ceux qui sont revenus vivants du conflit, comme mon
grand-père, la vie a repris son cours. Contrairement à beaucoup de gens, qui traditionnellement
préféraient avoir un fils, mon grand-père s’est réjoui d’avoir une fille (ma
mère), car les filles ne font pas la guerre… Mais pour les familles en deuil,
rien n’est redevenu comme avant. Les veuves ont dû faire face à des difficultés
matérielles, à la responsabilité d’élever leurs enfants, à la solitude. La
fille de Louis et de Marthe, la petite Yvonne, n’a pas connu longtemps son papa :
elle avait tout juste sept ans quand il est mort.
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