Tout en sachant que ni mon mari, ni
personne dans ma famille japonaise ne s’intéressait à la généalogie, j’ai voulu
tenter de m’y retrouver parmi ses ancêtres.
- première difficulté : la
langue. Je parle couramment le japonais, mais mon vocabulaire est limité dans
certains domaines. En outre j’ai de la peine à lire les documents officiels. Tant
pis ! Je tâcherais de me débrouiller.
- deuxième difficulté : les
dates. Les Japonais n’utilisent pas notre calendrier. Les années se comptent à
partir d’une ère qui correspond à l’avènement de l’empereur et à laquelle on
donne un nom différent à chaque nouvel empereur. Exemple : nous sommes en
l’an 25 de l’ère Heisei. Je suis née en l’an 20 de l’ère Showa. Il faut donc
recalculer toutes les dates à l’aide de tableaux, comme en France pour le
calendrier républicain.
Qu’à cela ne tienne ! Il fallait
bien essayer.
Ma belle-mère vient de fêter cette
année ses 100 ans. Elle est encore en bonne santé, sauf la vue : elle ne voit pratiquement
plus à cause d’une dégénérescence maculaire due à l’âge. Mais l’histoire que je
vous raconte remonte à quatre ans. On était en 2010. J’habitais encore au
Japon. J’ai téléphoné à ma belle-mère, 96 ans, pour lui proposer d’aller la
voir afin de parler de généalogie. J’apporterais une boîte repas (bento) pour
chacune de nous, elle n’aurait rien à préparer, et nous pourrions bavarder.
Elle a accepté.
Le jour dit, je me suis rendue chez
elle en train, à Ofuna. C’est à l’autre bout de Tokyo, à l’ouest, alors que
nous habitons à l’est. Le trajet dure 2h. Nous avons déjeuné tranquillement,
puis j’ai sorti mon cahier et mon stylo et j’ai commencé à l’interroger. Elle
avait une mémoire extraordinaire. Masako
Yoshida était l’aînée d’une famille de sept enfants. Elle savait l’année de
naissance de tous ses frères et sœurs. Je notais scrupuleusement. Elle était
née en l’an 3 de l’ère Taisho. Puis étaient venues 4 sœurs, et enfin un garçon
en l’an 1 de l’ère Showa et un autre garçon en l’an 4 de la même ère. Elle
était la fille de Yazô Yoshida, né le 1er
janvier de l’an 18 de l’ère Meiji, proviseur d’une école, et de Tei Okamoto, sans profession, née la
même année au mois de juin. Je les ai connus tous les deux lors de mes premiers
séjours au Japon dans les années 70, mais je ne parlais pas le japonais, à
l’époque, et nous n’avions pas pu communiquer. Ils étaient déjà très âgés. Ma
belle-mère n’a pas su me dire la date de leur décès (ou peut-être ai-je oublié
de la lui demander). C’est un point que je dois noter pour la suite de mes
recherches.
Du côté de mon beau-père, Kiyoshi Suzuki était l’aîné d’une
famille de sept enfants également (sans compter un premier enfant mort-né). Il
était né en l’an 39 de l’ère Meiji. Il avait donc 8 ans de plus que sa femme
(vous me suivez ?). Il avait eu 4 sœurs et 2 frères. Il était le fils de Tomekichi Nakahara (le père) et de Tomo Suzuki (la mère). Celle-ci étant
fille unique, la famille avait besoin d’un héritier mâle pour continuer le nom.
Alors, chose qui se fait couramment au Japon, ils avaient adopté leur gendre,
qui avait pris le nom de Keiishi Suzuki.
Village de Kamifunabara, péninsule d'Izu (collection personnelle)
Tomo Suzuki était née en l’an 18 de
l’ère Meiji (février 1885) à Kamifunabara, dans la péninsule d’Izu. C’est un
petit village tranquille au bord d’une rivière. D’une famille de paysans aisés, et possédant une bonne éducation, le
grand-père Keiishi Suzuki, qui avait eu cinq enfants, était venu à Tokyo avec sa femme, et il y avait exercé le métier d’écrivain public. A la retraite, après la guerre, ils étaient revenus vivre dans leur maison, à Izu. Mais après des années
paisibles passées à cultiver leur jardin, devenus trop vieux pour rester seuls
à la campagne, ils étaient revenus s’installer à Ofuna, chez
leur fils, dans une petite maison en bois au bout du jardin (hanaré).
Mon mari a conservé de merveilleux
souvenirs d’enfance de ses vacances, l’été, chez ses grands-parents. Avec ses frères, ils jouaient dans le ruisseau, traversaient à gué en sautant de pierre en pierre, essayaient de
pêcher de petits poissons avec une canne à pêche de leur fabrication. La
grand-mère, toujours agenouillée de manière traditionnelle, préparait la soupe
dans l’âtre. On mangeait beaucoup de légumes, accommodés de différentes manières :
sautés, bouillis dans la marmite, marinés en « tsukemono », etc. La
viande était rare et chère. Parfois, le grand-père allait en vélo acheter du
poisson à la ville voisine. Mais il n’y avait pas de réfrigérateur et il
fallait le consommer rapidement. Les « sushi » et les « sashimi » n'existaient pas ! En revanche, on pouvait se régaler de poissons grillés ou séchés.
Voilà toutes les informations (pas
seulement généalogiques) que j’ai glanées auprès de ma belle-mère et de mon
mari. La grand-mère est décédée le 12 juillet 1971. Il me manque la date du
décès du grand-père, probablement avant sa femme. Je ne les ai pas connus. En
avril 2002, nous avons fait un petit voyage à Izu, et nous avons visité le
village de Kamifunabara. Mon mari a reconnu la maison (en ruines) et l’endroit
où sa grand-mère, accroupie, les attendait, ses frères et lui, à la descente de
l’autobus. Nous avons aussi effectué un petit pèlerinage au cimetière. Nous
avons rencontré le bonze du temple et nous avons bavardé avec lui. Il s’est
souvenu du professeur Kiyoshi Suzuki et de son frère, le peintre Mitsuru
Suzuki. Il avait même reçu en cadeau un tableau de ce dernier, qu’il conservait
précieusement. Mais les cendres des grands-parents ne sont plus au cimetière. Elles ont été transférées, il y a
quelques années, à Kamakura, dans le caveau familial.
Merveilleuse plongée dans cette civilisation que nous connaissons si peu, mais qui n'est pas si différente de la nôtre, finalement : nos ancêtres respectifs menaient sans doute la même vie rustique, avaient les mêmes joies simples entre grands-parents et petits-enfants…
RépondreSupprimerMerci beaucoup Nicole pour ce beau témoignage de recherches au Japon !
RépondreSupprimerC'est très interessant d'avoir une autre approche de cette culture !
Voilà un voyage inédit pour les généalogistes européens. Merci de nous le faire partager.
RépondreSupprimerNicole, ainsi vous aussi buter sur de nombreuses specicités locales. J'ai trouvé au début de l'aide sur les sites américains.
RépondreSupprimerYvette Claudon Fukuda