mercredi 14 septembre 2022

Un bagnard en 1873

 

Le ciel est barbouillé en noir. Le vent furieux couche les herbes de notre île. Il secoue le gros banian et l’araucaria. Bientôt, ça va péter !

L’air se met à tournoyer comme une toupie. Le garde-chiourme gueule :

- Un cyclone ! Rentrez immédiatement dans vos quartiers !

Mon pote me tire à l’intérieur.

- Vaut mieux obéir.

- Jamais vu un vent pareil, foi de Jean-Baptiste !





- T’es nouveau en cabane. T’en a pris pour combien ?

- Perpète ! J’ai évité de justesse le massicot.

- T’avais fait quoi ?

- Tué ma femme. Le commissaire de police des Batignolles, il a rien compris. Les jurés non plus. Y m’ont sacqué au procès. Désirée et moi, on était natifs de Saint-Quentin. Là-bas, y’avait plus de boulot. On rêvait d’une vie meilleure. On s’est installés rue Dulong, à Paris, dans l’dix-septième. J’croyais que ça serait facile. Pour se faire du blé, on aurait pris une loge de concierge. Peinards !

Cet été-là, c’était mortel. Une chaleur d’enfer sous le cagnard ! Y’a pas à dire, ça donne soif, un temps comme ça. J’suis devenu un régulier de l’estaminet. En rentrant chez moi, j’étais cueilli par ma bourgeoise.

- Alors, t’as trouvé du travail ?

J’étais bien obligé de répondre que non. Mais ça m’énervait. Et elle insistait :

- Si t’étais courageux, t’aurais d’jà trouvé du travail depuis longtemps !

Faut pas me pousser. Je sors vite de mes gonds. Je me suis approché d’elle :

- Attention à toi ! Je vais cogner !

Je voulais juste la faire taire. J’ai ma fierté, quand même ! On parle pas comme ça à son homme ! Mais elle a continué :

- Monsieur fait la fine bouche ? Y’a pas de sot métier, pourtant.

- Tais-toi ! J’vais te casser la gueule ! que j’ai dit.

Je me suis jeté sur elle et j’ai serré son cou pour l’étrangler. Elle a réussi à se dégager et elle s’est enfuie.

J’ai bien pensé qu’elle était allée chez les Viard. J’ai attendu un peu, pour me calmer. Y’avait plus une goutte de pinard dans cette piaule. Et j’avais pas un rond ! J’ai avalé un verre de château-la-pompe (pouah !). Et j’suis allé récupérer ma gonzesse.

Viard, c’est le garde-meuble, au 31 de notre rue. On s’connaît depuis longtemps. Il créchait comme nous à Saint-Quentin. Il vit avec sa sœur.

La Désirée était assise à leur table devant un verre de sirop de menthe.

- Bonjour ! j’ai dit. C’est fini, l’histoire. Je te taperai plus. Faisons la paix !

Elle voulait pas venir. Elle avait l’air de s’être entichée de cet imbécile de Viard.

- Allez ! Viens, bobonne ! On rentre à la maison.

- Pour que tu me battes encore ?

- Mais non. Bon sang ! Je ne te ferai aucun mal.

- Sûr ?

- Oui, promis !

- Et tu ne passeras plus tes journées à picoler ?

- D’accord !

- Tu dis ça…

- Bon alors, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

Elle est rentrée avec moi dans notre bicoque. On s’est rabibochés. Mais, comme j’disais, y faisait sacrément chaud, cet été-là. La soif, ça m’a pas lâché.

Le matin du quinze août, j’avais déjà pris deux ou trois canons sur le zinc du marchand de vin. Je suis rentré pour croûter avec ma bonne femme. Encore des patates ! Et y’avait même plus de lard ! Le ciel était tout noir. Y’a eu des éclairs. Des grondements ont suivi. Et y s’est mis à vaser comme vache qui pisse. C’est pas que j’en aie jamais essuyé, de la flotte, quand je bossais dans les champs avec mon paternel. C’était pas pareil. Quelle saucée !

Y’avait plus de picrate à la maison. J’ai attendu un peu que l’orage se calme et je suis sorti pour prendre un godet. J’avais plus de fric. Le bistrotier a pas voulu me faire crédit. J’ai senti la colère me monter dans la coloquinte. Je suis rentré dans notre piaule. La Désirée finissait la vaisselle.

- Donne-moi de l’oseille, que j’ai dit. J’ai soif !

- J’en ai pas.

Sa réponse, ça m’a foutu en rogne. J’ai regardé autour de moi. Y’avait un marteau sur la cheminée. Je l’ai attrapé :

- Je vais te buter !

Elle a pas eu le temps de s’enfuir. Je l’ai saisie d’une main par le col de sa robe, et je l’ai frappée sur le crâne à grands coups de marteau. Elle est tombée par terre, inanimée.

Je l’ai portée sur le lit. Le sang coulait d’une plaie à la tête. Elle bougeait plus.

D’un coup, ma colère est tombée. J’l’aimais bien, quand même, ma Désirée ! Elle m’répétait tout le temps :

- Tu finiras mal ! Tu bois trop.

J’ai fermé la porte de la turne et je suis sorti. Rue de Rome, deux gardiens de la paix faisaient leur ronde.

- Arrêtez-moi ! J’suis un misérable, que j’ai dit en pleurant. J’ai tué ma femme à coups de marteau.

D’abord, ils m’ont pas cru.

Y m’ont emmenés au poste et le commissaire de police m’a interrogé.

- Préméditation ! qu’y disait.

Non ! J’voulais pas la tuer, ma Désirée. J’disais ça quand j’étais beurré.

C’est comme ça qu’un an plus tard, aux Assises, j’ai été condamné aux travaux forcés à perpétuité.

- Ben mon gaillard, tu l’as échappé belle ! Ici, y’a une dizaine de condamnés à mort. Mais pour les autres, c’est guère mieux. Tu verras, sur l’île Nou, on fait pas de vieux os !

 

 

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